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rois mérovingiens ou carolingiens, l’évêque et le moine sont de très importans personnages, qu’il faut d’abord pourvoir et qu’on pourvoit : les premières villes de l’Allemagne du nord sont nées au pied des monastères ou des églises épiscopales ; mais les teutoniques sont à la fois des moines et des chevaliers : ils n’ont point admis de partage avec les « porte-capuchons, » comme parle un prêtre de l’ordre en se moquant de la gourmandise et de l’oisiveté monastiques : « Le porte-capuchon, dit-il, pourrait être assez heureux, s’il buvait à la rivière et voulait cultiver des légumes ; mais l’abbé quitte le plat de fèves, dès qu’il voit un poisson et le poisson dès qu’il voit un plat de viande. Son capuchon ne le mènera point au ciel : à quoi sert la dureté de la règle, si l’âme n’est point pure ? »

Les trois évêques de la Prusse proprement dite ont été richement pourvus de domaines, lors de leur établissement ; mais pour empêcher l’accroissement indéfini des biens de main morte, une loi ordonne que tout bien acquis par une église soit revendu au bout d’un an et d’un jour. Le grand maître honore les évêques et ne leur parle pas sur le ton du commandement comme aux officiers de l’ordre ; il commande pourtant en terre épiscopale, même en Livonie, où l’évêque fondateur des porte-glaives avait réservé à l’église de Riga de grands privilèges. Dans un colloque réuni à Danzig en 1366, les évêques livoniens demandent qu’on ne les force pas à servir avec leurs hommes dans des expéditions résolues sans leur consentement ; les chevaliers répondent : « Cela se fait, non par contrainte, mais en vertu d’une louable coutume de cette terre. Les vassaux de l’église de Riga et nous, voisins comme nous sommes des infidèles, nous avons coutume de nous aider contre eux pour l’attaque et pour la défense. Il est opportun et nécessaire qu’il en soit toujours ainsi. » L’évêque de Riga réclame pour ses suffragans et pour lui le droit d’envoyer chez les Lithuaniens et les Ruthènes des ambassadeurs et surtout des missionnaires portant la parole de Dieu. « Plaise à Dieu, répondent les chevaliers, que vous y envoyiez plus souvent des missionnaires et que vous y alliez vous-mêmes prêcher les infidèles ; mais, dans tous les autres cas, si vos envoyés se rendent en Lithuanie, ils iront avec les nôtres, et seulement pour faire ce qui leur sera commandé : les choses ne se sont jamais passées autrement. » En Prusse, l’ordre n’admettait même pas que les évêques doutassent de leurs obligations. Un jour que le contingent de l’évêché d’Ermland n’était pas arrivé à l’heure marquée, le grand maître, s’adressant aux hommes de l’évêque, leur dit : « Sachez qu’il vous faut payer le service que vous nous devez, tout comme font nos gens ; car c’est l’ordre qui a fait les évêques et non les évêques qui ont fait l’ordre. »