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sorte que le hasard y ait la moindre part et que l’élu soit désigné parmi les plus dignes et par eux.

Le grand maître ne commande pas despotiquement ; il est le chef d’un gouvernement aristocratique ; la puissance législative réside dans le chapitre général, avec l’agrément duquel il nomme les plus hauts dignitaires de l’ordre, dont les principaux sont les maîtres d’Allemagne et de Livonie. Au chapitre de Marienbourg, il choisit les dignitaires de Prusse : le grand commandeur, le grand hospitalier, d’autres encore qui forment comme son conseil des ministres. Il ne peut décider que des moindres affaires ; pour une aliénation d’une valeur de 2,000 marcs l’assentiment des maîtres d’Allemagne et de Livonie est nécessaire ; les grands officiers de Prusse donnent le leur, s’il s’agit d’une moindre somme, et le grand maître n’a qu’une des trois clés qui ouvrent le trésor.

Le territoire est divisé en commanderies, subdivisées elles-mêmes en districts ; le commandeur siège dans un des principaux châteaux ; les officiers préposés au district s’appellent quelquefois, selon la nature géographique du pays, maîtres des forêts ou maîtres des pêcheries. Ils tiennent chapitre tous îles vendredis, et le commandeur tous les dimanches ; car c’est la devise de l’ordre qu’il y a beaucoup de chances de salut là où l’on délibère beaucoup. La règle religieuse assure la discipline. Les frères ont fait vœu de chasteté ; la règle défend qu’ils embrassent leur sœur, même leur mère ; vœu d’obéissance : c’est en signe de soumission qu’ils portent les cheveux courts ; vœu de pauvreté : rien ne leur appartient en propre ; ils n’ont ni or, ni argent, ni couleurs brillantes ; point d’ornemens distinctifs au bouclier ni aux harnais : armes et chevaux peuvent être enlevés à un frère et donnés à un autre, sans que le cavalier, qui aime son cheval, ait le droit de réclamer. Leur costume est réglé dans les moindres détails, et chaque minute de la vie a son emploi. A la table commune, après la prière, on entend une lecture qui est en général le récit des exploits des chevaliers du temps de Moïse et de Josué ou du chevalier Judas Macchabée et de ses frères. Trois jours de la semaine, on se nourrit de lait et d’œufs ; le vendredi, qui est un de ces jours, on jeûne, et après la collation, entre vêpres et compiles, on doit parler bas et ne s’entretenir que de choses édifiantes, jusqu’au coucher. La nuit, dans le dortoir où brûle une lampe, les frères couchent demi-vêtus, l’épée à portée de la main. Ils ne doivent point avoir de secret pour leurs chefs et ne peuvent écrire ou recevoir un message sans le leur communiquer.

On comprend de quelle force disposa, tant que durèrent la ferveur religieuse et l’obéissance à la règle, cette corporation, où toutes les volontés cédaient à la volonté souveraine du grand maître et