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considérés en eux-mêmes et isolément. En cela, la science sociale ne diffère point des autres sciences ! Si donc elle reconnaît que le régime contractuel n’est pas immédiatement applicable à tout, du moins doit-elle s’écarter le moins possible de cette direction.

Selon Stuart Mill, l’école française a un second tort, celui de chercher toujours dans la science l’unité, de vouloir tout ramener à un principe unique, tel que le contrat social par exemple. — Oui, répondrons-nous, il y a là un tort si l’on fait du contrat social une réalité historique, car les faits historiques sont multiples ; non, si on en fait un idéal auquel tout doit se ramener progressivement, car l’idéal est un. Toute science d’ailleurs n’a-t-elle pas besoin d’unité ? L’art lui-même ne tend-il pas à l’unité ? L’art de la société en particulier ne doit-il pas aussi poursuivre une certaine fin qui est de toutes la plus désirable et la plus haute ? Nous en appelons ici à Stuart Mill lui-même : « S’il y avait, dit-il, plusieurs principes supérieurs de conduite, la pensée en élèverait un autre au-dessus d’eux, lequel serait vraiment le principe supérieur et dernier, et qui par cela même serait unique. » Pourquoi donc l’école française aurait-elle tort de vouloir faire converger toutes les forces sociales vers une seule fin : la liberté la plus égale pour tous, telle que le régime contractuel la suppose ? — Les Français, remarque Stuart Mill, dans leur amour pour l’unité, « concluent que telle ou telle mesure doit être adoptée parce qu’elle est une conséquence du principe sur lequel le gouvernement est fondé, par exemple du principe de la légitimité ou de la souveraineté du peuple… C’est là ce qu’ils appellent être logique et conséquent ; mais, aucun système gouvernemental n’étant parfait, il ne faut pas pousser l’unité logique à cette rigueur. » Et Stuart Mill ajoute un argument ingénieux, mais sophistique, à l’adresse des partisans français de l’unité. Il faut toujours, dit-il, tirer le remède d’ailleurs que du mal ; les inconvéniens d’un gouvernement ne peuvent donc être combattus par des moyens tirés des causes mêmes qui les produisent : « Aussi serait-ce souvent une meilleure recommandation pour une mesure pratique d’être indépendante de ce qu’on appelle le principe général du gouvernement que d’en être une conséquence. Dans un gouvernement reposant sur le principe de la légitimité, la présomption serait plutôt en faveur des institutions d’origine populaire, et dans une démocratie, en faveur des arrangemens qui tendent à tenir en échec l’impétuosité de la volonté populaire. Cette manière de raisonner qu’on prend si communément en France pour de la philosophie politique tend à cette conclusion pratique, que nous devons faire tous nos efforts pour aggraver, au lieu de les atténuer, les imperfections du système d’institutions que nous préférons ou sous lequel nous vivons. » — De deux choses l’une, répondrons-nous à Stuart Mill : ou le