Page:Revue des Deux Mondes - 1879 - tome 32.djvu/791

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

lui, l’unité en qui résidait le droit dans les anciennes sociétés était la famille ou l’état ; dans les sociétés modernes au contraire, c’est l’individu. « Il faut suivre, dit-il, l’histoire du droit dans toute son étendue si nous voulons comprendre comment, peu à peu et bien tard, la société s’est divisée en unités individuelles comme celles qui la composent aujourd’hui, par quels degrés insensibles les rapports d’individu à individu ont remplacé les rapports de l’individu avec les familles et des familles entre elles. » Ces rapports d’individu à individu se résument à leur tour dans le contrat : « La société de notre temps se distingue principalement des générations précédentes par la grande place qu’y occupe le contrat. » Déjà le commerce, selon la juste remarque de M. Courcelle-Seneuil, bien avant la philosophie, la religion et le droit, avait mis en lumière la valeur de l’individu et montré que les contrats suffisent au règlement de la plupart des affaires humaines. La civilisation n’a fait que développer les vertus dont le contrat dépend et qui sont les vertus sociales par excellence : le souci de la liberté personnelle, le respect pour la liberté des autres, la fidélité à sa parole, la confiance dans la parole d’autrui. Selon M. Sumner Maine, les sociétés anciennes, tout en reconnaissant la nécessité et la beauté de la sincérité mutuelle, avaient en même temps un certain faible pour toute habile tromperie : « La trompeuse finesse d’Ulysse était considérée du même œil que la sagesse de Nestor et la bravoure d’Achille. » A notre époque, c’est précisément parce que la grande majorité mérite et obtient la confiance des citoyens qu’une minorité perverse trouve encore tant de facilité pour agir avec mauvaise foi. La confiance, avec son expression économique, le crédit, et son expression juridique, le contrat, n’en demeure pas moins la caractéristique des sociétés en progrès. « Aussi la tutelle de la loi diminue de plus en plus et la loi même tend à devenir une simple garantie générale de l’exécution des contrats, qui sont abandonnés dans le détail à la libre initiative des citoyens. »


V

Nous venons de voir que le contrat doit être l’idée directrice de la société moderne ; examinons maintenant la méthode par laquelle on pourra développer les conséquences de cette idée et constituer ainsi la science sociale.

Nulle part les nuances des caractères nationaux ne se montrent mieux que dans la différence des méthodes appliquées aux problèmes sociaux et politiques : chaque grand peuple a ici sa manière de procéder qu’il préfère. Comme on reconnaît un homme à