Page:Revue des Deux Mondes - 1879 - tome 32.djvu/784

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

individus pris dans leur ensemble. Or une certaine somme d’instruction, dans la vie civilisée des modernes, est absolument nécessaire à la conservation sociale et au progrès social, à l’exercice libre et éclairé du suffrage universel, au développement de toutes les supériorités intellectuelles. Qui veut la fin, veut les moyens ; qui veut la vie sociale, veut les conditions sans lesquelles la vie sociale ne peut plus être ni conservée ni développée. « Les partisans de l’état de droit en Allemagne, dit M. Bluntschli, furent obligés eux-mêmes par la suite d’élargir leur doctrine : Fichte, après avoir soutenu l’individualisme, aboutit à des conceptions socialistes ; « Humboldt, devenu ministre de Prusse, éleva le niveau intellectuel par les écoles publiques qu’il avait repoussées dans ses théories. » — Humboldt avait eu tort de les repousser au point de vue même de ses théories, car il n’est besoin que d’invoquer le droit strict pour soutenir le caractère obligatoire de l’instruction, surtout dans les pays de suffrage, et la nécessité pour l’état d’organiser des services publics en faveur de l’instruction. Je ne parle pas seulement de l’enseignement primaire, mais de la haute culture scientifique et intellectuelle, instrument nécessaire de progrès et même de simple salut pour les sociétés modernes, et qui à ce titre devient un objet de droit public, une clause du contrat social[1].

Nous arrivons à une quatrième et dernière fonction de l’état, qu’on a également opposée à sa fonction juridique et qui n’en est encore en réalité que l’extension : je veux parler de la fonction politique. La politique intérieure est-elle, comme on le prétend, une question de pur intérêt ? Le droit de conservation et le droit de développement pour les individus, pour les associations, pour les classes, ne sont-ils pas engagés dans les questions politiques autant et plus que dans toutes les autres ? Les libertés nécessaires que doit assurer la politique intérieure ne sont-elles pas les droits mêmes de tous ? Quant à la politique internationale, n’a-t-elle pas encore un double objet de droit : d’abord la défense de tous contre l’étranger en cas de besoin, ce qui est une forme du droit de conservation, puis la participation de l’état au développement universel et à la vie de l’humanité, ce qui est une forme du droit de progrès ? L’individu ne doit-il pas se proposer une mission pour ainsi dire humaine, qu’il peut transférer à l’état ? n’est-il pas membre de la grande société du genre humain ? De là des questions d’échange et

  1. S’il est démontré, par exemple, que les hautes mathématiques sont nécessaires aux mathématiques appliquées, et en particulier aux armemens qui intéressent l’existence même de la nation, n’en résultera-t-il pas pour l’état le devoir et le droit de créer en cas de besoin des chaires de mathématiques transcendantes, et, comme tout se tient, d’encourager la haute spéculation intellectuelle ? Cela n’est pas moins vrai pour tout autre genre d’étude.