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certain état d’équilibre dont nous venons d’indiquer le caractère. La solidité et la régularité d’un ensemble exigent que les élémens soient disposés selon des formes définies que la science détermine ; supposez des hommes inexpérimentés qui s’efforcent de construire un pont sur un fleuve et qui, entassant les pierres au hasard, les voient sans cesse s’écrouler ; un architecte pourra leur dire : Ce que vous cherchez, c’est une certaine figure géométrique qui peut seule assurer un groupement symétrique et stable ; eh bien, la ligne qui permettra à vos pierres de s’élancer d’une rive à l’autre, c’est la ligne courbe. De même pour l’édifice social ; aux hommes qui cherchent à lui assurer tout ensemble stabilité et beauté le philosophe peut dire : — L’idée que vous tentez de réaliser n’est autre que celle du consentement universel.

S’il fallait en croire M. Bluntschli, la doctrine du contrat ne serait si populaire que « parce qu’elle flatte l’amour-propre des individus en faisant croire à chacun qu’il devient fondateur d’état. » Non, ce n’est pas là une question d’amour-propre, c’est une question de dignité et de liberté : puisque déjà, par le suffrage, nous sommes tous législateurs, pourquoi ne voudrions-nous pas être, pour notre part, fondateurs d’un état selon la raison et le droit ?


Le droit, tel est le véritable point de vue auquel nous devons maintenant nous placer pour apprécier la théorie de l’état contractuel ; car, dans la science politique, il s’agit encore moins de ce qui a été que de ce qui doit être. Que dirait un philosophe cherchant à établir le droit de propriété, si les historiens croyaient lui répondre en lui racontant tous les vols, pillages et conquêtes qui ont été l’origine réelle d’un bon nombre de propriétés ?

Il est difficile de nier que l’état contractuel soit le plus conforme au droit idéal : point de justice en effet sans l’égalité des libertés, point d’égalité sans la réciprocité, point de réciprocité sans consentement mutuel ; le droit veut donc que dans la société tout se fasse, autant qu’il est possible, par voie de contrat et de libre suffrage. Les institutions héréditaires, irrévocables, se passent de l’acceptation, ou prétendent préjuger une acceptation tacite ; mais elles la préjugent souvent à faux, finissent par s’en passer réellement, par y être même contraires, et ne laissent plus alors de recours que dans les révolutions. Pour avoir dans l’état le minimum de servitude, d’inégalité, en un mot de fatalités et de contraintes, il faut que l’autorité sociale y soit instituée par l’ensemble des citoyens ; il faut que la société elle-même, au point de vue du droit pur, soit considérée comme un vaste contrat d’association, le plus général de tous, dans lequel tous les autres trouveront leur place et leur garantie. Imaginez un grand cercle à l’intérieur duquel des cercles plus petits, les uns