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même coup irait atteindre, abroger presque complètement la loi de 1850 sur la liberté de l’enseignement secondaire. Il brouille tout, il confond tout ! M. Jules Ferry est en vérité fort impatient de précipiter le gouvernement et la république dans une guerre dont il n’a peut-être calculé ni la gravité, ni la durée, ni les conséquences, et où il est certain de rencontrer dès les premiers pas les résistances non-seulement des représentans de l’église, mais de tous les esprits sincèrement libéraux.

Qu’on y prenne bien garde : ce n’est pas une question de privilège d’église, de prérogative ecclésiastique, non, ce n’est pas, comme on le dit, une question de cléricalisme ; ce qu’il y a d’important et de grave, c’est le droit commun mis en cause, c’est la liberté atteinte dans une classe déterminée, dans des religieux parce qu’ils sont des religieux. Voilà la vérité et voilà le danger de cette guerre étourdiment déclarée ! C’est un moyen commode sans doute de se faire une érudition de circonstance, d’invoquer les édits de l’ancienne monarchie, les décrets de l’empire, les ordonnances de 1828 et de répéter sans cesse : Nous ne faisons que ce que tous les gouvernemens ont fait, il ne s’agit que des congrégations, et encore des « congrégations non autorisées. » Est-ce que ce n’est pas là commettre la plus étrange confusion de toutes les idées, de toutes les époques, des conditions propres aux régimes les plus opposés ? Est-ce que ce n’est pas méconnaître la puissance bienfaisante et libérale de cette révolution dont on invoque le nom ? Eh ! certainement l’ancienne monarchie avait ses règles et ses traditions ; elle avait la police des communautés religieuses, elle se réservait le droit de les autoriser ou de ne pas les tolérer, et la raison en est bien simple : c’est que les communautés avaient une existence privilégiée, une personnalité civile ; elles avaient des droits, des immunités, des statuts, et l’autorisation de la puissance publique impliquait de la part de l’état l’obligation de maintenir, de défendre ces statuts, ces privilèges. L’état faisait respecter les lois de l’église, même les vœux, il était tout simple qu’il mesurât ses obligations. Même à cette époque des ordonnances de 1828 qu’on invoque, sous cette restauration qui était pourtant déjà dans des conditions si différentes, il y avait encore une religion d’état, l’Université était un monopole légué par l’empire, l’état était le gardien du monopole de l’Université, il pouvait prononcer des exclusions, exiger des déclarations de conformité.

Aujourd’hui tout a changé. La société entière s’est transformée sous l’influence de la révolution. Le droit public s’est renouvelé et il est inscrit dans une série de constitutions. Les monopoles et les privilèges ont disparu ; la loi commune existe désormais pour tous, même pour des religieux, et c’est par une sorte de fiction qu’on est réduit à donner un corps saisissable à une communauté religieuse pour lui dire : Ceux qui vous appartiennent n’auront pas le droit d’enseigner. Pourrait-on