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superstitions modernes, ce champion des principes divins et éternels, qui furent dans tous les temps le palladium de l’humanité. Ce n’est pas seulement eu Prusse ni dans les états Allemands, c’est bien au delà des frontières de l’Allemagne que se fait sentir son action pour donner une nouvelle vie aux idées antirévolutionnaires, et si la foi monarchique se ranime partout, à lui seul en revient le mérite. » Ainsi parle le docteur Klee ; mais nous connaissons des conservateurs prussiens qui ne sont point de son avis ; il est vrai que ce ne sont pas des mystiques, quoiqu’ils aient aussi peu de tendresse que lui pour les parlemens, pour les avocats et pour M. Lasker. Ils reconnaissent en M. de Bismarck un autoritaire convaincu et conséquent, ils ne le traitent point de génial, ils rendent pleine justice à la supériorité de son esprit et de son caractère. Il a dit lui-même un jour que la grande maladie de notre siècle était la peur des responsabilités ; personne ne l’accusera de les craindre ni de les fuir ; jamais bomme n’a tant osé, tant pris fur lui, répondu de tant de choses sur son honneur, sur sa gloire et même sur sa tête, et c’est par là qu’il fait une si grande figure dans un temps où les petites considérations et les petits calculs, la complication des intérêts, les combinaisons parlementaires, les engagemens et les servitudes des partis, les intrigues de couloirs exercent sur les volontés une influence énervante qui explique cette disette d’hommes d’état dont se plaint l’Europe. Mais si les conservateurs dont nous parlons rendent hommage aux qualités maîtresses et souveraines de M. de Bismarck, ils lui reprochent d’être un homme sans doctrines, de n’avoir jamais eu que des principes de circonstance, d’avoir abusé des expédiens ; ils se plaignent qu’il a détruit les vieux moyens de gouvernement et qu’il les a remplacés par d’autres qui ne sont qu’à son usage, qu’en donnant une constitution à l’Allemagne il a trop songé à ses convenances personnelles, que cette constitution est une machine dont il possède seul le secret et le maniement, que quand le mécanicien aura disparu, la machine ne marchera plus. — « Il s’est occupé de se rendre nécessaire, disent-ils ; après lui le déluge, c’est-à-dire le parlementarisme ! »

M. Klee s’est donné beaucoup de peine pour établir et justifier sa thèse, pour démontrer la vocation apostolique de M. de Bismarck, mais Voltaire a dit que les systèmes sont comme les rats qui peuvent passer par vingt petits trous et qui en trouvent enfin deux ou trois qui les arrêtent. Quelle que soit du reste la valeur de son argumentation, son livre est un signe des temps, et il est une réflexion qu’on ne peut s’empêcher de faire en le lisant. Alors que la France passait pour avoir un gouvernement réactionnaire et clérical, les journaux d’outre-Rhin répétaient à l’envi que M. de Bismarck était le chef naturel du libéralisme européen, et qu’il avait pour mission de défendre les idées modernes contre le Vatican, dont le cabinet de Versailles était l’allié et le suppôt.