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sache s’en servir, sans compter que le meilleur moyen d’imprimer fortement dans le cœur et dans la tête un peu duré de tous les Allemands la notion de l’unité de l’Allemagne était de les convier tous à élire un parlement impérial. Un jour ou l’autre, l’éducation de l’Allemagne étant faite, on pourra se passer du suffrage universel, sans qu’il soit question de le remplacer par rien. Ce jour viendra, cela est écrit, comme disait Homère, aux tablettes de Jupiter, mais il n’est pas encore venu, et il faut savoir attendre.

On ne peut professer plus d’aversion, plus de mépris que le docteur Klee pour les parlemens et le parlementarisme. Il estime que les assemblées électives ne sont qu’un bagage inutile et embarrassant, qu’il n’est jamais sorti rien de bon d’une délibération de députés, et que, si les peuples avaient le sens commun, ils demanderaient à être mis et tenus en tutelle. « On suppose assez souvent, disait Joseph de Maistre, que le mandataire seul peut être représentant ; c’est une erreur. Tous les jours, dans les tribunaux, l’enfant, le fou et l’absent sont représentés par des hommes qui ne tiennent leur mandat que de la loi ; or le peuple réunit éminemment ces trois qualités, car il est toujours enfant, toujours fou et toujours absent. » Voilà précisément ce que dit M. Klee, quoiqu’il ait moins de piquant dans le style ; l’air est différent, la chanson est la même. Le roi Charles XII, comme on sait, ne regardait le sénat suédois que comme une troupe de domestiques, qui voulaient commander dans la maison en l’absence du maître ; il leur écrivit que s’ils prétendaient gouverner, il leur enverrait une de ses bottes, dont ils auraient à prendre les avis et les ordres. Si M. de Bismarck avait imité les pratiques de Charles XII, s’il avait envoyé aux députés du Reichstag une de ses bottes à la hussarde, chargée de leur signifier ses ordres, M. Klee aurait sûrement glorifié ce procédé et cette botte ; mais il n’ose blâmer le chancelier d’avoir adopté une méthode plus douce, car il est décidé à ne le blâmer de rien.

Sans doute il ne peut penser sans regret ni sans une secrète humiliation aux ménagemens excessifs que s’est imposés M. de Bismarck à l’égard des assemblées, aux explications bénévoles qu’il a consenti à leur donner, aux concessions qu’il a daigné leur faire, au bill d’indemnité qu’il demanda un jour à la chambre prussienne, abaissant ainsi la victoire devant la défaite ; mais, à son avis, M. de Bismarck en usait ainsi moins par condescendance que par dessein. En faisant au parlement une part, si modeste qu’elle fût, dans la conduite des affaires, il a voulu le mettre à même de faire des fautes, l’obliger à se discréditer par ses mutineries et ses déraisons, le réduire à l’impuissance par une sorte de réduction à l’absurde. Il a obtenu gain de cause, il a prouvé à la Prusse et à l’Allemagne tout entière que si on laissait faire les assemblées, elles conduiraient fatalement l’état à sa perte. « Cette vaste