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sont exposées aux courans, mais elles sont au moins abritées de la grande violence de la mer, et elles reposent sur les solides couches d’un terrain résistant. Néanmoins la conservation de ces enrochemens est des plus onéreuses. Les frais seraient tout autres à l’embouchure de la Gironde. Parmi ceux que leur métier rend témoins de la fureur des coups de mer dans ces parages, bien peu oseraient se porter garans de la résistance des parties extrêmes de l’endiguement, à moins de dépenses d’entretien hors de proportion avec l’importance du but à atteindre, quelque grande qu’elle puisse être.

Quand un projet, remarquable à tant de points de vue, aboutit à de telles impossibilités, la base en est évidemment défectueuse. C’est qu’en prenant le rétrécissement produit par le grand pont de Bordeaux pour largeur initiale du fleuve canalisé, le projet lui donne des dimensions trop exiguës. Il n’a ainsi qu’un kilomètre de large à son débouché dans la Gironde, tandis que, si la largeur au départ était plus considérable, si d’autre part la loi de croissance était également augmentée, l’étendue du débouché pourrait être portée à 1,500 mètres. En donnant à peu près la même dimension à la Dordogne, le confluent des deux fleuves artificiels s’ajusterait parfaitement au lit naturel de la Gironde, qui n’a que 3 kilomètres dans cette partie. Ainsi on serait heureusement dispensé du prolongement de la digue de la rive droite.

Ce pont monumental de Bordeaux est en vérité une fatalité pour la navigation. L’éminent ingénieur qui est l’auteur du projet le reconnaît lui-même. « L’établissement du grand pont de Bordeaux et celui du quai des Quinconces ont eu lieu, dit-il, sans que l’on se soit assez préoccupé des conditions que le fleuve doit présenter. Nous avons été forcés d’adopter 410 mètres pour la largeur auprès du pont, tandis que cette largeur aurait dû être de 520 mètres environ, si l’on avait adopté dès l’origine la loi la plus favorable au fleuve. »

La nécessité de construire des digues dans des conditions d’une difficulté extrême n’est point du reste l’inconvénient le plus grave du rétrécissement du cours de la Garonne. Une conséquence plus funeste serait la réduction du volume d’eau pénétrant dans le fleuve. Il est aisé de s’en rendre compte par quelques chiffres. Le lit naturel présente les largeurs suivantes : 600 mètres à Bordeaux, 1,200 mètres à Mackau, 3,500 mètres à Blaye et 5,000 mètres à Pauillac. C’est dans cette sorte de moule irrégulier que l’on coulerait les parois lisses d’un canal ayant 420 mètres à Bordeaux, 800 mètres à Mackau, 2,050 mètres à Blaye et 2,500 mètres à Pauillac. La contraction de la largeur, qui est environ d’un tiers au départ, augmente jusqu’à atteindre la moitié des dimensions naturelles. Pour