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la mer, à l’abri de toute menace d’obstruction des sables. Mais il n’en serait point ainsi ; le canal aboutirait en pleine Gironde, et rien n’assure qu’il ne se produirait pas des atterrissemens inquiétans en aval de ce débouché. A quoi servirait alors d’avoir coûteusement approfondi un canal jusqu’à 7 ou 8 mètres, si l’accès du fleuve est interdit aux navires de ce tirant d’eau ? C’est ce danger trop réel qui par-dessus toute chose doit faire renoncer au projet d’une voie latérale, tandis qu’il peut être conjuré par l’amélioration du cours entier du fleuve, qui accroîtra la puissance de chasse des courans.

L’idée de créer un chenal artificiel pour Bordeaux a été sans nul doute inspirée par le canal du nord de la Hollande, au moyen duquel le port d’Amsterdam communique avec la mer du Nord, par la passe du Helder, en évitant les bancs du Zuyderzée. Mais, s’il y avait une imitation à faire, ce serait plutôt celle du nouveau chenal que les Hollandais viennent d’ouvrir directement vers la pleine mer, en traversant la lagune de l’y, dont le dessèchement est une des suites de cette laborieuse entreprise. Il est d’une hardiesse encore sans exemple, ce projet d’un canal débouchant à travers des dunes, sur une plage de sables mouvans tels que ceux des Landes. Mais l’accès des écluses sera difficilement préservé des obstructions, qui se formeraient encore plus rapidement sur nos côtes où les lames déchaînées de l’Océan ont une action bien plus puissante que la courte houle de la mer du Nord. Souhaitons à ce peuple industrieux un succès bien mérité par sa tenace énergie à lutter contre la mer, mais ne songeons point à l’imiter pour une entreprise dont la nature sauvage de nos plages causerait la ruine certaine.

La conservation du fleuve comme voie d’accès s’impose donc par les avantages que la navigation relire du courant de marée et aussi par la facilité qu’elle trouve à louvoyer dans la largeur de ce fleuve. L’amélioration des passages défectueux est une si grave entreprise, que les ingénieurs chargés du service maritime de la Gironde ont dû se livrer à une minutieuse étude du régime de ce cours d’eau, pour donner toutes les garanties possibles au projet définitif. Leurs expériences et leurs recherches ont amené d’utiles découvertes dans la connaissance difficile des lois des courans dans les rivières à marée[1].

Les premiers travaux d’amélioration de nos fleuves ont été entrepris, il y a une cinquantaine d’années, avec l’idée préconçue d’en redresser les courbures. L’expérience n’a pas tardé à montrer les funestes conséquences de la violence ainsi faite à la nature, qui dirige les cours d’eau suivant de nombreux méandres, partout où

  1. Ces études sont fondées sur les sondages périodiquement exécutés avec un soin extrême par les ingénieurs hydrographes. Les plus récentes et les plus importantes reconnaissances de la Gironde sont dues à MM. Manen et Héraud.