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mouvement des eaux, soit en facilitant les alluvions par des endiguemens mal placés. De tous les travaux exécutés sur le fleuve, il n’en est pas pour la navigation de plus néfaste que le pont monumental construit à Bordeaux, dans les premières années de ce siècle. La largeur naturelle de la Garonne a été rétrécie de plus d’un quart, par la fondation des culées de cette magnifique construction, dont les piles achèvent d’embarrasser le lit du fleuve. L’obstacle direct qu’elles opposent au courant se trouve accru par le remous qu’elles causent sous leurs arches. Le mouvement alternatif des marées en a été profondément troublé, au préjudice de l’entretien des chenaux du fleuve et des mouillages mêmes de Bordeaux.

La superficie du port présentant plus de 6 mètres de profondeur au moment de la basse mer était estimée à 60 hectares environ en aval du pont, avant l’établissement de cet ouvrage. Mais depuis cette époque l’emplacement utilisable pour le stationnement des grands navires s’est graduellement amoindri d’année en année, au point de ne plus offrir que 10 hectares vers 1860. Actuellement l’étendue du mouillage est d’environ 15 hectares, subissant des oscillations en plus ou en moins, qui la laissent fort au-dessous de son ancien état. Comme, par un fatal enchaînement des choses, toute faute en entraîne une autre, c’est sur ce funeste étranglement produit par le pont que l’on projette de régler la largeur des endiguemens destinés à régulariser et améliorer le cours du fleuve en aval et en amont de Bordeaux. Cela compléterait l’œuvre des atterrissemens.

Il est un autre travail, justement loué à un autre point de vue, qui a aggravé l’action destructive de la mer sur la côte des Landes et favorisé l’apport des sables dans le fleuve. On sait que, jusqu’à, la fin du siècle dernier, les sables des dunes du littoral étaient balayés par le vent qui les poussait vers l’intérieur. Le sol limitrophe en était stérilisé, et les habitans, forcés de fuir, abandonnaient leurs villages promptement ensevelis. C’était l’irrésistible marché en avant d’un horrible désert. Mû de pitié par tant de désolation, Brémontier eut, comme par un éclair de génie, l’admirable inspiration de jeter quelques graines de pin sur la dune, et de protéger les germes naissans à l’aide d’un léger clayonnage. L’essai réussit à merveille ; quelque aride et mouvant que fût le terrain, il permit la croissance de ces arbres, les moins exigeans de tous les grands végétaux, à la seule condition que leurs racines puissent pénétrer dans les couches profondes du sol. La dune se couvrit de verts rameaux, sous lesquels le sable se trouva fixé à l’abri du vent.

Les populations voisines de cette côte sauvage sont désormais préservées de cette affreuse invasion du sable ; mais ce qui les