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Canada, annexé aux États-Unis, introduirait dans la grande république américaine un élément sympathique à notre patrie, et qui contrebalancerait l’influence de l’immigration allemande. Là comme ailleurs, en ce moment, notre rôle doit se borner à surveiller la marche des événemens sans intervenir pour contrarier ou hâter un dénoûment prochain.

A ceux qui, Français atteints de la maladie de la peur, ou étrangers aveuglés par la haine, estiment que la France a reçu un coup mortel, nous répondrons que notre nationalité a résisté à de plus rudes épreuves et s’en est relevée plus puissante. Nous la leur montrerons vivace encore sur les rives du Mississipi comme sur celles du Saint-Laurent. Le génie profondément sympathique de notre race n’a pas dit son dernier mot. Nos vainqueurs d’hier l’affirment, tout en s’irritant des obstacles qu’il leur suscite. Souvenons-nous qu’au Canada il a résisté à plus d’un siècle de domination étrangère tempérée par les traditions larges et libérales de l’Angleterre. Ni le temps ni la distance n’ont effacé le souvenir de la mère patrie. Les épreuves infligées par la fortune changeante et vaillamment subies par un peuple qui sait comment et à quel prix on se relève ont pu diminuer notre orgueil ; mais si nous observons attentivement ce qui se passe autour de nous, nous reprendrons courage. Repliée sur elle-même, la France retrouve le secret de sa grandeur : une homogénéité qu’aucun peuple ne possède au même degré. La puissance de l’Angleterre, celle de l’Allemagne, celle des États-Unis reposent sur des élémens divers et contraires, source d’incessans conflits. L’Angleterre voit le Canada et l’Australie prêts à s’affranchir, et, dans l’Inde, une politique audacieuse jusqu’à la témérité courbe ce vaste empire sous ses lois. Aux États-Unis, les tendances séparatistes comprimées attendent l’heure de la revanche. En Allemagne, les provinces récemment détachées du Danemark et de nos frontières subissent sans l’accepter le joug du vainqueur ; l’Allemagne du sud murmure, et la force seule maintient ce que la force a créé. La France est compacte, unie vis-à-vis de l’étranger, et le jour où, faisant trêve à nos dissensions intérieures sur la forme du gouvernement, nous nous rallierons dans une pensée commune, ce jour-là, sans autres efforts, sans violence, sans lutte, nous reprendrons notre rang dans le monde. Alors nous aurons reconquis, avec la sympathie des faibles, le respect des forts, la confiance en nous-mêmes, en cette vitalité puissante, signe distinctif de notre race, contre laquelle le temps et la conquête étrangère ne peuvent rien, qui se relève à son heure et sait l’attendre parce qu’elle y croit.


C. DE VARIGNY.