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république américaine. La Russie et la Chine occupent seules sur la carte du monde un espace plus considérable. Cette annexion doublerait l’étendue des États-Unis, mais elle y introduirait un élément nouveau, huit états, qui déplaceraient certainement la majorité dans le congrès. Le parti républicain, actuellement au pouvoir, ne saurait envisager avec indifférence ce résultat. Il est probable en effet que ces nouveaux venus donneraient leurs voix au parti démocratique et sympathiseraient avec le sud, auquel les unirait une communauté d’origine, de tendances et de traditions aristocratiques. La question est grave, elle explique les hésitations des États-Unis et le projet de zollverein qui ajournerait, tout en la laissant possible, une annexion ultérieure. Au Canada, on ne va pas au delà d’une union commerciale au moyen d’un traité de réciprocité. Le cabinet de Washington préfère l’union douanière, le zollverein. S’il se refuse à rouvrir les négociations sur une autre base, cette dernière s’imposera probablement.

L’Angleterre observe le cours des événement sans toutefois dissimuler ses appréhensions. Dans ce pays de discussion libre et de libre examen, il est facile de suivre les évolutions de l’opinion publique. Ses hommes d’état parlent et écrivent : ils abordent les questions de politique étrangère avec une rare franchise et ne ménagent pas plus à eux-mêmes qu’aux autres les vérités pénibles. En ce qui concerne leurs colonies, volontiers ils disent tout haut ce qu’ailleurs on pense tout bas. Bien plus, ils apportent dans leurs jugemens sur ceux dont ils ont été les maîtres, les tuteurs et les guides, cette sorte de bienveillance mélancolique avec laquelle un vieillard suit de l’œil l’allure hardie et la carrière audacieuse d’un fils émancipé, qui, imbu des idées de son temps, répudie les traditions qui firent la fortune de son père. Il y a quelques mois à peine, l’adversaire de lord Beaconsfield, William Gladstone, tour à tour chancelier d’Angleterre, premier lord de la trésorerie, premier ministre, publiait dans un recueil étranger, the North-american Review, un article intitulé : Kin beyond the sea (nos descendans d’outre-mer), qui a produit aux États-Unis une sensation profonde. Dans cette étude comparative des institutions américaines et anglaises, M. Gladstone décrit avec un légitime orgueil les progrès de l’Angleterre, la merveilleuse expansion de sa puissance politique et commerciale, son influence et son rôle dans le monde. « Mais, ajoute-t-il, si rapide qu’ait été notre marche, celle des États-Unis nous laisse en arrière. Et cependant ils n’en sont encore qu’au début de leur carrière ; ils ont à peine commencé à tirer parti des inépuisables ressources de leur sol. L’Angleterre et l’Amérique sont probablement en ce moment les deux plus puissantes nations du monde, mais si nous envisageons l’avenir nous n’hésitons pas à