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états du nord se sont peu à peu affranchis de cette « institution » que les exigences du sol et du climat ont maintenue dans le sud jusqu’en 1865, c’est jusqu’à elle pourtant qu’il faut remonter pour expliquer la politique d’annexion. L’esclavage a été son point de départ, sa raison d’être et son but. Depuis, les circonstances ont changé ; on verra comment, avec elles, les tendances se sont modifiées et dans quelles voies nouvelles la politique extérieure de l’Union est entrée.

On se tromperait fort en attribuant la suppression progressive de l’esclavage dans les états du nord aux théories humanitaires prêchées par Wilberforce dès 1787 et qui ont fait explosion lors de la guerre de sécession. Le nord l’a abandonné, le sud l’a conservé, parce qu’inutile au nord il était nécessaire au sud. Dans la Nouvelle-Angleterre, l’esclave coûtait cher à nourrir, cher aussi à vêtir. Dans ces demeures étroites, sous un climat relativement rigoureux, l’esclave était de trop ; on répugnait à son contact. Dans le sud, au contraire, embrigadé sous les ordres des overseers, tenu à distance des habitations, il rendait d’utiles services. Son prix augmenta, et lorsqu’en 1808 la suppression de la traite rendit l’importation des noirs difficile, les planteurs du sud rachetèrent au nord ceux qui s’y trouvaient encore. C’est ainsi que l’esclavage devint « l’institution » particulière du sud. A partir de ce jour, les élémens divers dont se composait l’Union américaine cessèrent de flotter au hasard. Deux groupes distincts se formèrent : les états à esclaves et les états libres.

Si l’égalité est possible dans une fédération entre des provinces jouissant des mêmes droits et soumises aux mêmes lois, il n’en est plus ainsi quand, sous l’empire de circonstances particulières, elles se divisent en deux camps ayant chacun des conditions différentes d’existence. Forcément l’un des deux partis domine l’autre, s’il ne peut l’absorber, et fait prévaloir sa volonté dans l’administration intérieure et la politique étrangère.

Plus nombreux, plus riches, plus peuplés, les états du sud prirent en main la direction de l’Union. Seuls, les fils des planteurs avaient le loisir et la fortune nécessaires pour se consacrer aux fonctions publiques. La vie large du sud, l’habitude héréditaire du commandement, les traditions aristocratiques importées d’Angleterre et entretenues par l’institution de l’esclavage, qui faisait du blanc un être supérieur, tout contribuait à former une race d’hommes énergiques et indépendans, capables de prendre et d’exercer le pouvoir. Ils avaient fait leurs preuves pendant la guerre de l’indépendance, et depuis Washington, Jefferson, Madison, Lee, Penn, Monroe, étaient sortis de leurs rangs. Dans l’armée, dans la marine, ils occupaient les premières places. Au congrès, dans l’administration,