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met bien chaque année dans la circulation une trentaine de licenciés et d’agrégés ; mais il en faudrait deux ou trois fois autant pour les besoins du service, et tant qu’on n’en reviendra pas à la pensée de l’auteur du décret de 1868, ces besoins ne seront pas assurés. L’administration le sait à merveille ; aussi ne conçoit-on pas qu’elle ait si facilement abandonné l’application de ce décret. L’enseignement supérieur et l’enseignement secondaire y étaient également intéressés ; l’un et l’autre en auraient été fortifiés, et l’état, par suite, y eût trouvé double profit.

Conviendrait-il en même temps d’emprunter à l’Allemagne une pratique qui semble avoir donné d’excellens résultats chez nos voisins et que nous trouvons recommandée dans le travail déjà cité de M. Lavisse ? « Ce ne sont point, lisons-nous dans ce travail, les boursiers allemands qui peuplent les auditoires des facultés des sciences et des lettres. Tous les professeurs de l’enseignement secondaire, sans exception, ont passé par les universités, où ils ont demeuré l’espace d’un triennium. Tous ont reçu la permission d’enseigner après avoir subi un examen que l’on donne comme l’équivalent de notre licence. Est-il donc impossible d’établir la même règle en France ?… On dira que le personnel universitaire ne sort point des classes riches, que l’obligation du séjour auprès d’une faculté écartera les jeunes gens d’une carrière où ils ne se portent pas en foule ; mais les futurs Lehrer allemands sont-ils donc si riches ? Combien d’entre eux mènent une vie très rude, apprentissage qui n’est point inutile d’un métier où il ne faut apporter ni égoïsme ni paresse. Nos étudians en sciences et en lettres vivraient modestement, péniblement, si l’on veut, comme font ceux d’Allemagne, où la vie à bon marché ne se rencontre pas plus aisément aujourd’hui que chez nous. On doit croire qu’un bon nombre pourraient être, pendant ces études, soutenus par leur famille, quand on songe que les élèves-maîtres des écoles normales primaires ne sont pas boursiers, et que la plupart des familles de ces jeunes gens paient pension pendant deux ans. L’espérance de conquérir le grade de licencié, qui assure dès aujourd’hui une rémunération supérieure, soutiendra peut-être élèves et familles… On ne se dissimule assurément aucune des difficultés de la mesure qu’on propose ; mais elle mérite d’être examinée sérieusement. Songeons d’abord aux effets qu’on en peut attendre. L’enseignement secondaire de l’état et des villes, menacé, atteint même par la concurrence de l’enseignement libre, serait fortifié, relevé ; l’enseignement supérieur des sciences et des lettres aurait des élèves véritablement en assez grand nombre pour se consacrer à eux tout entiers. La méthode d’enseignement serait transformée ; chaque maître aurait son cours