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blessure qu’il avait faite à l’église ne resta ouverte et saignante que quelques mois. En mourant, Richelieu se repentit-il d’avoir ainsi traité le corps auquel il appartenait et qui l’avait porté aux plus grands honneurs ? Il ne le semble pas. Interrogé par le curé de Saint-Eustache, qui l’assistait à son heure suprême, pour savoir s’il pardonnait à ses ennemis, le fier cardinal répondit qu’il n’avait eu d’autres ennemis que ceux de l’état. Il avait peut-être raison, car l’état c’était alors, ce devait être surtout par la suite un régime d’autorité absolue qui remettait au roi et à son conseil toute la direction des affaires, qui les investissait d’un pouvoir sans appel et soumettait tous les sujets à une constante unité d’activité et d’obéissance. Les membres du clergé qui résistaient aux exigences de la couronne ne comprenaient pas ainsi leur rôle ; ils n’acceptaient la monarchie absolue qu’à la condition qu’elle se subordonnât à l’autorité de l’église, et ne pas commander là où ils prétendaient que devait s’exercer cette autorité, c’était pour eux la servitude. Ils n’acceptaient pas de milieu entre la domination et le martyre, et ils se résignaient plus facilement à le subir qu’à se ravaler au rang des autres sujets ; ils maintenaient que, quelles que fussent les formes de l’état, l’église gardait toujours ses droits, droits d’une nature infiniment supérieure à ceux que concèdent les conventions humaines parce qu’ils viennent de Dieu. Ramener les ecclésiastiques au rang de simples sujets, imposer à leur corps les mêmes devoirs politiques qu’aux profanes, c’était à leurs yeux un sacrilège, et le mot le disait, c’était profaner ce qui devait demeurer saint. Il était donc impossible au monarque de réduire le clergé, dans lequel il ne voyait que des auxiliaires, au joug sous lequel se courbait peu à peu toute la nation. Le gouvernement royal ne parvenait à affaiblir dans cet ordre l’esprit d’indépendance qu’en multipliant les attaches temporelles qui retenaient les ecclésiastiques à son bon plaisir, en remplissant les évêchés et les bénéfices d’hommes qui y cherchaient la considération et le bien-être plus qu’ils n’y travaillaient à l’accomplissement du devoir sacerdotal. Il se trouvait ainsi condamné à abaisser moralement le clergé, pour le contenir, et à faire dans les affaires de la religion une part de plus en plus large aux intérêts mondains.

Voilà comment l’église gallicane, en devenant plus docile aux exigences de la couronne, perdait de son autorité religieuse. Sans la dépouiller de ses richesses, et, pour l’amener à contribuer davantage à soutenir les charges matérielles de l’état, le roi travaillait à l’éloigner de plus en plus de sa mission. Les biens qui avaient fait jadis sa force étaient devenus la cause de sa déchéance morale.


ALFRED MAURY.