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nommer légat du pape près la cour de France. C’était un titre que le cardinal d’Amboise avait jadis porté, tout en restant ministre du roi Louis XII. Il rencontra à Rome une résistance absolue à ce dessein. Il chercha alors à se faire nommer archevêque de Reims, par ce motif que le titre purement honorifique de légat du saint-siège attaché à cet archevêché pourrait prendre en sa personne une valeur effective et lui permettre d’exercer l’autorité à laquelle il aspirait, mais il fallait obtenir la démission du titulaire. Le refus qu’opposa le cardinal de Guise, en possession de ce siège, à une telle combinaison, la fit échouer. Il semble que Richelieu ait alors caressé le projet de se faire constituer une sorte de patriarchat de l’église gallicane qui aurait mis dans sa main tout le clergé. Comme ministre et dispensateur d’une foule de bénéfices, il tenait déjà sous sa dépendance une grande partie du clergé séculier. Pour pouvoir assujettir le clergé régulier, il entreprit de se faire attribuer le généralat des ordres religieux les plus riches et les plus influens. En possession depuis plusieurs années des abbayes de Cluny et de Marmoutiers, chefs d’ordre, il rendit bientôt dépendans de lui, sous l’autorité d’un brevet, tous les biens de la congrégation de Chezal-Benoît sur lesquels, sans aucune autorisation de l’église, il s’établit une pension d’une somme considérable. Recourant tour à tour à l’intimidation ou à la ruse, il se fit élire général de l’ordre de Cîteaux et de celui de Prémontré. Mais il se heurta alors contre un sérieux obstacle : il lui fallait obtenir des bulles de Rome, et l’on y avait pour maxime qu’un cardinal ne pouvait être général d’ordre, et que, dès qu’un général d’ordre était promu au cardinalat, il devait se démettre, que de plus deux généralats d’ordre ne pouvaient être cumulés. Aux objections du saint-siège vint s’ajouter l’opposition des procureurs généraux des divers ordres. Richelieu eut beau faire agir l’ambassadeur de Louis XIII auprès du pape, M. de Noailles, employer mille autres moyens, il ne put triompher de la résistance du souverain pontife. Il n’en continua pas moins d’administrer en France de son autorité privée le spirituel de ces deux ordres et d’en prendre le temporel ; et comme les maisons de ces ordres situées en pays étrangers s’étaient opposées à sa prétention, il obtint à force de démarches des moines français placés sous la même règle, qu’ils sollicitassent en cour de Rome le droit d’avoir chez eux des vicaires généraux, ce qui eût mis dans sa dépendance tous les religieux français, puisque les vicaires généraux se seraient trouvés sous sa main. Quant aux jésuites, comme ils lui devaient des faveurs spéciales, ils étaient à sa dévotion. Richelieu maintenait également dans l’obéissance la plupart des autres ordres par les réformes qu’il y faisait introduire. Son titre de proviseur de Sorbonne lui assurait sur cet aréopage