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tiers-état, abusé par les assurances de Marie de Médicis, rejetait les articles où étaient formulées les remontrances communes aux trois ordres, le clergé persistait dans une proposition dont il lui était facile de faire ressortir les avantages ; il tenta de rapprocher les deux ordres laïques entre lesquels avait lieu un échange de provocations et d’insultes. L’éloquence persuasive du jeune Richelieu rappela aux mandataires de la bourgeoisie les égards qu’ils devaient aux députés de la noblesse ; il ne réussit à en obtenir qu’une protestation par écrit dans laquelle ils déclaraient n’avoir point voulu offenser les gentilshommes. La confiance que le clergé avait su inspirer au tiers ne dura pas longtemps, et la diversité des tendances amena bientôt un dissentiment. Le tiers gardait toutes ses défiances à l’endroit de l’église, dont il redoutait les aspirations théocratiques ; il s’inquiétait, pour la royauté et pour l’exercice de la justice, des prétentions du saint-siège ; aussi voulut-il, en tête de son cahier, rappeler le principe de l’indépendance du roi à l’égard du pape. La chambre ecclésiastique des états s’en émut ; mais, n’osant tout d’abord combattre ouvertement l’espèce de manifeste que le tiers entendait faire, elle supplia la reine mère d’intervenir en prohibant une déclaration qui pouvait rallumer dans le pays la guerre religieuse. Marie de Médicis hésita et, ne recevant pas de réponse, la chambre ecclésiastique décida d’envoyer deux de ses membres à la réunion du tiers pour lui demander de ne prendre aucune résolution touchant des matières intéressant le clergé sans la lui avoir précédemment communiquée. Les députés du premier ordre s’engageaient en retour à en user de même à l’égard du tiers dans les affaires le concernant. Le troisième ordre refusa d’abord d’obtempérer à cette demande, faite pourtant avec adresse et dans les termes les plus modérés ; mais il finit, après de nouvelles instances, par se rendre aux éloquentes paroles de l’évêque de Montpellier. L’article en question fut donc communiqué à MM. du clergé ; ils ne pouvaient en approuver ni l’esprit ni la teneur. Ils en donnèrent leur avis, qui fut présenté à la chambre du tiers par le cardinal du Perron dans un discours aussi remarquable par la science que par le style et où était combattu le principe contenu dans l’article. Le dissentiment était donc bien accusé entre le premier et le troisième ordre, et, pour être désagréable à ce dernier, la noblesse donna son assentiment à la doctrine que défendait le clergé. L’union, qui avait paru s’établir entre les mandataires de la bourgeoisie et ceux du corps ecclésiastique, devenait impossible. Les deux ordres privilégiés se séparaient ouvertement de celui qui représentait en fait la France, et, au lieu de faire cause commune avec la nation, le clergé rentrait dans cette existence politique à part qui en faisait un peuple distinct au sein du grand peuple. La couronne vit avec satisfaction