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Comme on était convaincu que les dieux avaient donné aux végétaux une physionomie en rapport avec leurs propriétés mystérieuses, les apologistes du « gouvernement de la Providence, » ancêtres de Joseph de Maistre, ne pouvaient avoir une idée favorable des plantes épineuses. Les Hindous ne se soucient point de construire des maisons et des tombeaux dans les lieux où elles poussent. Le mot sanscrit Kantaka est devenu synonyme d’ennemi. L’enfer de l’Inde est rempli de plantes armées d’épines ; il en est de même de l’Enfer de Dante, et dans le Tartare des Hellènes l’asphalatos déchirait les damnés. Une poésie de l’Inde reproche à une plante (kantakârikâ) de la famille des solanées d’avoir des épines, sans avoir d’odeur, les épines n’étant à leur place que dans l’oranger et le kétaki (pandanus odoratissimus), théorie que s’approprie complètement un livre de magie imprimé à Francfort au XVIe siècle, l’Apomasaris apostelesmata.

Les plantes épineuses peuvent cependant avoir leur rédemption. Le rhamnos (prunier sauvage), ayant servi dans les combats à la « guerrière Pallas, qui détruit les villes, » on supposait qu’il pouvait être utilisé contre les mauvais génies, et on le suspendait aux portes des maisons. Le genévrier, ayant sauvé la vie à l’enfant Jésus et à la Vierge, au temps de la fuite en Égypte, a reçu comme récompense la propriété d’éloigner les diables, propriété bien connue des paysans toscans de la montagne de Pistoia, qui s’en servent pour protéger leurs demeures contre les sorcières. L’épine sainte a été sanctifiée depuis qu’elle a formé la couronne ensanglantée du Christ libérateur. Aussi les enfans vénitiens portent souvent sur eux une épine d’acacia, qu’on regarde dans leur province comme la spina sancta. Mais un arbre, d’abord pur, peut changer de caractère. L’arbre où se pendit Judas est maintenant maudit. Malheureusement on ne s’accorde pas sur le nom de cet arbre. Dans la Petite-Russie, on donne de fortes raisons en faveur de l’ocina (le tremble), dont les feuilles sont toujours agitées. En Sicile, on croirait plutôt qu’il s’agit de la vruca (tamarix africana), dont le bois inutile ne donne ni cendre ni feu. (Si cornu lu lignu di la vruca, chi nun fa ni cinniri ni fuocu). Avant la passion du Christ, ce tamarin était grand et beau ; mais il est devenu chétif et laid[1]. L’âme du traître rôde autour de son tronc rabougri, et s’irrite de voir toujours son corps suspendu à ses branches. Une autre tradition sicilienne substitue au tamarin le gaînier ou arbre de Judée (cercis siliquastrum), soit à cause de son écorce sombre, soit à cause de la forme de ses graines, assimilées, comme une

  1. Pitré, Fiabe siciliane, I, CXXVIII et suiv. — Lu cuntu di Giuda. — La vruca n’est pas la Tamarix gallica, mais la Tamarix africana.