Page:Revue des Deux Mondes - 1879 - tome 32.djvu/467

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

communiquer Bagdad avec l’Inde, la Chine et Batavia, reste indemne. En 1877, la peste paraît à Recht, ville importante du nord de la Perse, très proche de la mer Caspienne, et qui n’est qu’à quelques kilomètres du port assez fréquenté d’Ensali. Ces faits géographiques ont leur importance, car c’est par Recht et Ensali que le fléau s’est répandu en Europe.

De Recht à Astrakhan il n’y a qu’une voie, la voie maritime. La voie de terre est impraticable. Il y a toutes les montagnes du Caucase à franchir, et des régions dont la sécurité n’est rien moins qu’encourageante, tandis que d’Ensali à Astrakhan et à Baku il y a des communications constantes par les bateaux de pêche, les navires de commerce, et même un service régulier de messageries. C’est évidemment par là que s’est faite la transmission de l’épidémie. En effet, M. Doppner, médecin en chef des troupes cosaques d’Astrakhan, avait, en mai 1877, reconnu chez quelques individus d’Astrakhan et quelques soldats des symptômes analogues à ceux de la maladie qui prit tant d’extension un an après, en novembre 1878. « Au moment où l’épidémie s’est déclarée, dit M. Doppner dans son rapport officiel, au commencement de novembre 1878, quelques habitans de Vetlianka ont été atteints de la fièvre. Après quelques paroxysmes, air bout de sept à huit jours se sont produites chez eux des enflures des glandes lymphatiques. M’étant rendu à Vetlianka, j’ai trouvé huit malades. La durée de la maladie a été de dix à vingt jours ; tous ces malades ont guéri. Depuis le 27 novembre 1878 s’est produite à Vetlianka une nouvelle maladie à laquelle beaucoup de malades ont succombé. Du 17 novembre au 9 décembre, sur cinquante-sept malades, il y a eu quarante-trois morts. Du 9 au 14 décembre, il y a eu cent morts. Je n’ai pas fait d’observations après le 14 décembre, parce que je suis tombé moi-même malade. »

Il n’est pas difficile de s’expliquer pourquoi la maladie, qui paraît à Astrakhan d’abord, puis à Vetlianka, sévit surtout dans cette dernière localité et se montre d’abord assez bénigne, puis ensuite très grave. Astrakhan est une grande ville : Vetlianka, une bourgade, habitée par une population de pêcheurs kalmouks, misérables et malpropres. Toute cette région de la Russie est une vaste plaine où le large Volga s’étale en formant des îles innombrables qui font de la plaine un marécage. Les habitans de ces contrées sont des Kalmouks qui pèchent le sterlet, le saumon, recueillent le caviar, et font leur unique nourriture de saumon fumé et de lard, sans pratiquer ou connaître les préceptes d’aucune sorte d’hygiène. Les cabanes où ils vivent n’ont ni cheminée, ni fenêtre ; ce sont des huttes qu’on appelle noires dans la langue du pays, et où l’air, en hiver, ne se renouvelle pas. Non-seulement toute la famille y est logée, mais encore les animaux domestiques y vivent pêle-mêle avec les hommes. Les poissons salés et fumés y sont