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Les usines qui s’étaient organisées pour fournir les machines et les rails aux chemins de fer nouveaux ont réussi à dominer le marché, puisque l’étranger, qui avait envoyé 513,000 tonnes de fer en 4870, 595,000 en 1871 et 400,000 en 1872, n’expédia plus que 33 tonnes en 1876 et 12 tonnes seulement en 1877. Mais la catastrophe subie par les chemins de fer a porté un rude coup aux usines métallurgiques, et le coup a été ressenti en même temps par beaucoup d’autres établissemens. S’il faut en croire certains publicistes américains, ce qui a produit la misère aux États-Unis, c’est la prodigalité, le manque de prévoyance, la faiblesse relative de l’épargne. On gagnait facilement, on dépensait plus facilement encore, et le goût du luxe, ou du moins le goût des jouissances, était répandu dans toutes les classes de la société. Pour ne citer qu’un détail, selon le rapport du commissaire des taxes fédérales, on a consommé aux États-Unis, dans l’année finissant le 30 juin, notwithstanding the hard times (malgré la dureté des temps), 1,905,063,000 cigares à 10 cents (52 centimes), ce qui ferait une dépense totale de 990 millions de francs, à laquelle on doit ajouter 75 millions de livres de tabac. Selon le même rapport, on a consommé 317,665,600 gallons, soit 14,300,000 hectolitres, de boissons fermentées, et le montant de cette dépense est évalué à plus de 66 francs par tête, hommes, femmes et enfans, soit 330 francs par famille de cinq personnes. La faiblesse de l’épargne se fait sentir bien plus vivement dans un pays très entreprenant, parce que le capital, incessamment engagé, exposé, détruit, ne se reproduit pas avec la même rapidité. Dans les années de prospérité, l’Europe a largement suppléé à l’insuffisance du renouvellement des capitaux américains, et l’avenir des États-Unis se présenterait sous des couleurs très sombres, si cet heureux pays n’avait pas ses immenses ressources naturelles, son coton, son tabac, son blé, son bétail. Les bonnes récoltes dont la grande république américaine a été gratifiée deux années de suite vont, — on l’a du moins proclamé officiellement, — remettre les affaires à flot.

Il nous resterait à rechercher les causes spéciales à la crise française. On ne saurait nier que la politique a pesé de tout son poids sur la vie économique de la France. Nous nous sommes rapidement relevés après la guerre de 1870-1871 ; sous ce rapport, nous avons été un objet d’admiration et peut-être de jalousie pour le monde civilisé. Et c’est sans aide, sans secours, par l’effet des richesses acquises, par le travail et par l’épargne, par une conduite politique sage que nous avons repris notre rang. Mais assez longtemps l’avenir était incertain, nous ne savions si nous aurions un lendemain et surtout un surlendemain. A certains momens, les