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aux pessimistes, rien n’est changé dans notre vieille Angleterre. N’avons-nous pas toujours nos avantages naturels : une grande abondance de charbons et de fers à bas prix, une excellente position géographique, et un climat qui permet de travailler sans interruption tout le long de l’année. N’avons-nous pas en outre nos avantages économiques : l’abondance et le bon marché des capitaux, l’efficacité du travail anglais, un système de moyens de transports extrêmement développé, de vastes colonies, et enfin le libre échange !

Laissons le lecteur sous l’impression consolante des vues peut-être un peu optimistes de M. Mundella et voyons quelles causes particulières ont pu agir aux États-Unis. Il faut remonter à la guerre de sécession pour nouer l’enchaînement des circonstances qui ont produit la crise américaine. La nécessité de dépenser des sommes immenses et la facilité donnée, par le papier-monnaie et les emprunts, de les dépenser avec prodigalité, ont naturellement favorisé le penchant à la spéculation déjà si fort sur les bords de l’Hudson et du Mississipi. Pour payer les dettes contractées pendant la guerre civile, il a fallu créer une série de lourds impôts, et l’on en a profité pour élever le tarif des douanes sans dissimuler les intentions protectionnistes. De nombreux droits, qui devaient tous être acquittés en or, devinrent prohibitifs de toute importation. Les États-Unis ne voulaient plus être « tributaires » des manufactures étrangères ; ils prétendaient non-seulement suffire à leur propre consommation, mais encore concourir avec les autres pays sur le marché international. Et pourquoi ne réussiraient-ils pas ? N’ont-ils pas, eux aussi, du charbon et du fer ? n’ont-ils pas surtout le coton, sans parler de l’abondance des denrées alimentaires qui constituent, on le sait, la matière première par excellence ? Personne ne contestera que les Américains ne soient bien doués pour l’industrie ; mais les circonstances locales sont-elles aussi favorables qu’en Europe ? On peut en douter, lorsqu’on compare le taux des salaires des deux côtés de l’Atlantique, ou lorsqu’on mesure les distances que les produits ont à parcourir dans l’intérieur du pays. En tout cas, l’expérience a prononcé : en multipliant les fabriques, on produisit la hausse des salaires, mais le prix des marchandises s’éleva davantage, et le commerce, un instant prospère, tomba dans une langueur que d’autres événemens aggravèrent. A cet égard, il suffit de signaler « la fièvre des chemins de fer. » De 1869 à 1873, en cinq ans, on construisit 28,000 milles, c’est-à-dire près de 45,000 kilomètres de voies ferrées ; mais on ne put créer aussi rapidement des objets à transporter, plusieurs lignes ne parvinrent même pas à faire leurs frais. Un grand nombre de compagnies, sont en faillite.