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II

La tâche pourra paraître facile, car il est peu de sujets qui aient été plus souvent traités depuis quatre ou cinq ans. Victimes du mal au témoins de la souffrance, tous ceux que la pratique des affaires ou l’étude de la théorie a pu éclairer se sont efforcés de jeter des lumières sur la situation. Avant de présenter le résultat de nos propres observations, il convient donc de recueillir, les avis émis de part et d’autre, de les contrôler en les rapprochant des faits, afin de nous en autoriser en les complétant, ou de les réfuter au besoin.

Une opinion assez répandue considère cette stagnation des affaires comme un mal périodique inévitable. Les crises, disent beaucoup de publicistes, reviennent à peu prés tous les dix ans, ou même plus souvent. L’homme a un penchant naturel à étendre constamment ses affaires. Il travaille avec zèle pour s’enrichir ; s’il entrevoit le succès, il multiplie ses efforts ; si les chances se montrent favorables, il se précipite sur le gain, s’excite et se surexcite, la passion alors parfois l’aveugle et le pousse à sa chute. La crise se déclare ; c’est la punition. Les fautes s’expient, on revient pour quelque temps à la modération, et le même mouvement recommence pour se terminer de la même manière. M. Juglar a rendu saisissant cette sorte de cercle vicieux par un tableau où il nous montre le portefeuille de la Banque se gonflant peu à peu, d’année en année, pour s’aplatir tout d’un coup, lorsque la spéculation est arrivée à son point culminant[1]. Pour ne citer que quelques chiffres : en 1801, l’escompte tombe presque subitement de 630 millions à 256 millions ; en 1830, de 617 à 155 millions ; en 1847, de 1,329 à 256 millions ; en 1857, de 2,081 à 1,414 millions ; en 1874, de 2,881 à 2,448 millions. Nous aurions pu augmenter encore ces chiffres et multiplier les périodes ; nous nous en dispenserons, car personne n’ignore que la crise actuelle a été précédée par d’autres crises, et que la série en remonte bien loin en arrière. Sir John Sinclair en a publié, vers 1780, une liste qui part de l’année 1680, et ce que cet auteur a fait pour les crises financières, d’autres l’ont accompli pour le commerce et l’industrie. On a même trouvé une ingénieuse explication, nous allions dire justification, de ces alternatives de prospérité et de revers. Selon un journal spécial, the Statist (19 octobre 1878), si tous les dix ou douze ans les affaires se ralentissent, les faillites se multiplient, et qu’ensuite la période de prospérité recommence, c’est que l’activité sérieuse d’une

  1. Dictionnaire général de la politique, au mot Crises.