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faute d’alimens. Dès 1874, près de 80 compagnies avaient dû liquider, non sans subir de grandes pertes, et dans les années suivantes d’autres encore durent se dissoudre ; la cote de la plupart des sociétés qui survécurent resta basse, avec une tendance constante à faiblir davantage.

La confiance avait disparu, et avec elle la possibilité de trouver des capitaux apparens, pour se refaire une prospérité apparente. Il fallait dorénavant se contenter des ressources qu’on possédait réellement, et ces ressources étaient devenues insuffisantes. La vie avait été longtemps à bon marché en Allemagne, et les salaires se maintenaient à un taux correspondant, lorsque la guerre de 1870-1871 changea toutes les habitudes. La guerre avait amené la destruction ou l’usure d’un matériel immense, elle avait aussi imposé le chômage à nombre d’usines et de manufactures ; les magasins étaient vides, il fallait les remplir, et l’on se mit à travailler avec ardeur, mais en élevant les prix avec non moins d’empressement. En partie pour satisfaire aux demandes, et en partie pour employer les fonds qui affluaient, un certain nombre de créanciers de la Prusse furent remboursés avec les fonds de l’indemnité de guerre. On fondait des fabriques, on élargissait les ateliers, on renouvelait l’outillage, on allait de l’avant sans obstacle, car on obtenait les prix qu’on demandait, et l’on ne marchandait pas la rémunération aux autres. Il est inutile de dire que le taux des traitemens et des salaires suivit de près la hausse des marchandises et des denrées. Patrons et ouvriers prirent en 1871 et 1872 des habitudes de luxe dont beaucoup durent se défaire dans les années suivantes, et l’on sait combien il est dur de déchoir ou même seulement de subir des privations. Si encore on avait pu rétablir purement et simplement la situation économique d’avant la guerre ! Mais on ne remonte pas le cours des événemens : les salaires baissent, et les denrées restent chères. Heureux encore ceux qui ont des salaires, car de nombreuses usines se ferment, mettant leurs ouvriers sur le pavé. Ce qui est triste à dire, c’est que pour beaucoup la punition était méritée. L’élévation des salaires n’avait pas été un stimulant au progrès : on travaillait d’autant plus mal qu’on était mieux payé ; tous les témoignages s’accordent pour attribuer la diminution des exportations à l’abaissement de la qualité des produits. Et si l’on veut une preuve frappante de la gravité du mal, en voici une qui ne manque pas d’éloquence : à la fin de l’année 1875, la Banque d’Allemagne avait en portefeuille pour 467 millions de marks d’effets de commerce, à la fin de 1876 pour 446 millions, en décembre 1877 pour 429 millions et à la fin de 1873 pour 363 millions seulement. La diminution est constante[1].

  1. Pour corroborer ces chiffres, nous ferons remarquer que les versemens aux caisses d’épargne sont allés en diminuant. En 1812, les sommes versées ont été égales à 42.3 pour 100 du solde dû aux déposans ; en 1873, les versemens s’élèvent à 42.5 pour 100 ; à partir de ce moment ils descendent successivement à 30.4 pour 100 en 1874, à 34.3 pour 100 en 1875, à 31.1 pour 100 on 1876, à 28.2 pour 100 en 1877. Les remboursemens aux déposans n’ont pas augmenté.