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aussitôt après l’arrivée de celui qui était attendu. Ainsi à Cavite, qui est le port militaire de Manille, il y avait toujours trois ou quatre vaisseaux en état de prendre la mer afin que le commerce ne fût jamais interrompu par suite d’un naufrage ou d’une capture des flibustiers. Ces vaisseaux avaient les mêmes hauts privilèges que ceux qui naviguaient entre Carthagène et Séville ; ils avaient le même armement et jaugeaient de douze cents à deux mille tonneaux, ce qui est énorme pour l’époque. Les petits embarquaient six cents soldats, les grands douze cents ; comme la cargaison variait beaucoup de l’aller au retour, la manière d’avitailler et d’équiper les galions variait aussi. Au départ de Manille, le galion était tellement chargé de soieries et de porcelaines de Chine, d’épices et d’autres riches produits de l’Inde, que les canons de la galerie d’en bas restaient à fond de cale jusqu’aux approches du cap Saint-Lucas, cap difficile à doubler et où la rencontre des ennemis des Espagnols était fréquente. Pour ne pas faire occuper par des provisions de bouche les places destinées aux marchandises, il n’y avait à bord que le nombre d’hommes strictement nécessaires aux manœuvres. Au retour, comme le galion n’avait pour tout chargement que de l’or et de l’argent du Mexique, la batterie d’en bas restait armée, le nombre des matelots était augmenté, tous les passagers qui se présentaient étaient admis, enfin deux compagnies d’infanterie montaient également à bord pour aller relever aux Philippines les camarades qui depuis un an y tenaient garnison. Équipage, soldats et passagers formaient un total de douze cents hommes. En partant de la Nouvelle-Espagne, le capitaine du galion tâchait de gagner le treizième ou quatorzième degré de latitude, et suivait ce parallèle jusqu’à ce qu’il eût en vue Guam, la capitale actuelle des îles Mariannes. Pour qu’il ne dépassât pas cette île durant les nuits du mois de juin, époque présumée du passage du galion, un feu énorme était allumé sur les hauteurs. Le capitaine mettait ensuite le cap sur la pointe Espiritu de l’île de Samar, une des Philippines. Là, il avait ordre de bien observer les signaux qui lui seraient faits de terre aussi bien à Espiritu qu’à Cataudanas, Birribaronzo et Butuan. Il y avait dans ces parages des Indiens postés de distance en distance, avec mission d’allumer des feux dès qu’ils apercevaient le galion. Si le capitaine remarquait qu’après l’extinction d’un premier feu quatre autres s’allumaient, il devait en conclure qu’il y avait des ennemis dans l’archipel. En ce cas, son devoir était de rallier le port le plus voisin, d’y jeter ses trésors et d’en défendre les approches avec son artillerie. Mais, si à la suite de l’apparition d’un premier feu deux autres lueurs se montraient, le commandant en inférait que la mer était libre et