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autochtone des grandes et petites Antilles ? Où découvrir un descendant pur des doux Indiens qui accueillirent le grand navigateur génois à San Salvador et à Haïti avec une touchante simplicité ? On croit qu’aux environs de Santiago de Cuba il est un petit village du nom de Caney qui en est encore peuplé, et c’est tout. Une partie de cette race a dû périr faute d’air et de soleil dans les galeries des mines d’or et d’argent que les Espagnols exploitèrent à outrance. Ce qui en resta s’est fondu, mélangé avec les nègres importés d’Afrique aux Antilles pour suppléer aux vides qu’avait faits la conquête. Comme on le pense bien, l’intrusion du noir n’améliora nullement la race indigène, race élégante et fine, devant laquelle les rois d’Europe et leurs cours restèrent, au dire des historiens, pâmés d’admiration. Du reste, les Espagnols, qui, pendant très longtemps, n’osèrent pas amener en Amérique les femmes blanches de leurs pays, ont laissé aussi de leurs relations avec les Indiennes bon nombre de preuves vivantes, et l’on peut affirmer qu’il n’est guère aux Antilles un homme de couleur qui n’ait dans les veines quelques gouttes de sang castillan. Il en est des Caraïbes comme des Indiens, et pourtant les premiers ont laissé leur nom à un archipel et à une mer. Saint-Barthélemy, comme toutes les Antilles du Vent, dut en être peuplé. Ils ont disparu, ou du moins le Caraïbe de race pure n’existe plus, à l’exception de deux ou trois rejetons misérables, dégradés par l’ivresse, et que l’on peut rencontrer encore dans la possession anglaise de Sainte-Lucie. Ceux qu’on voit là ont le teint cuivré, la peau huilée et la face épilée. On a peine à se persuader, en les considérant, qu’on ait devant les yeux les descendans de ces Caraïbes qui furent la terreur des Indiens, l’épouvante des Espagnols, qu’ils mangeaient, dit-on, et l’effroi de nos compatriotes, qu’ils vinrent bravement attaquer quelques années après notre installation à l’île Saint-Barthélemy. On sait qu’un cacique de Haïti demanda à Christophe Colomb de l’aider à combattre ces farouches insulaires. Mais Colomb refusa sagement ; il est à remarquer qu’il fut en cela moins chevaleresque que Magellan, lequel, se croyant lié par un pacte de sang avec un petit roi d’Océanie, n’hésita pas à épouser les querelles de son allié, à combattre pour sa cause, ne voulant pas qu’un Européen pût passer pour parjure même aux yeux d’un sauvage. Le chevaleresque Magellan en mourut, mais quelle auréole dans les deux hémisphères autour de ce nom glorieux ! Pour en finir avec les Caraïbes, disons que l’extinction de leur race fut poursuivie jusqu’au XVIIIe siècle par les conquérans des Antilles, sans distinction de nationalité, et qu’il n’est resté comme échantillons de leur industrie que des armes sans originalité et des poteries grossières.