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pour les poursuivre ; ils les laissèrent regagner dans le plus épouvantable désordre le rivage sur lequel Nicias consterné les attendait.

Que faire après cette cruelle épreuve ? Quand on songe à la position désespérée dans laquelle on s’était mis, renouveler l’attaque eût peut-être encore été le plus sage. Il restait aux Athéniens soixante vaisseaux et les Syracusains n’en avaient plus que cinquante. Thucydide affirme que Démosthène ouvrit l’avis de profiter du désarroi qui devait suivre une victoire si chèrement achetée, qu’il offrit de tenter une nouvelle sortie, d’aller de sa personne, surprendre, durant la nuit, la passe qu’on trouverait probablement mal gardée. Cette proposition audacieuse était tout à fait dans le caractère du vainqueur de Pylos ; elle ne rencontra malheureusement pas d’écho. Les marins d’ailleurs refusaient de se rembarquer. Il n’y avait plus qu’une pensée dans le camp : opérer la retraite par terre.

Abrégeons ces détails lamentables ; ici se termine l’expédition de Sicile. Qui pourrait croire en effet qu’une armée usée par tant de combats, décimée par la fièvre, affaiblie par de longues privations, sera capable de s’ouvrir par la force une route de Syracuse à Catane, qu’elle dérobera sa marche, qu’elle surprendra le passage des nombreux défilés qu’il lui faut franchir et dont un seul, gardé par une poignée d’hommes, suffirait à l’arrêter ? Non ! si grand que soit le courage des chefs, si admirable que puisse être la constance des soldats, on ne sort de situations pareilles que par la mort ou par la capitulation. Nicias et Démosthène étaient des généraux de premier ordre ; ils luttèrent bravement contre la fortune, recourant à tous les stratagèmes usités en semblable occurrence, multipliant les assauts et les ruses de guerre, simulant des campemens et se jetant brusquement sur la droite, sur la gauche, en arrière, cherchant de tous côtés des issues et n’en découvrant nulle part, car la cavalerie sicilienne ne les perdait pas de vue, les harcelait sans cesse et surveillait chacun de leurs mouvemens. L’armée cependant s’était allégée de tout bagage inutile, elle avait laissé dans les retranchemens de l’Anapos les malades et les blessés, trouvant dans son propre désespoir la force nécessaire pour résister aux plaintes déchirantes, pour demeurer sourde aux supplications. Elle marchait décidée à tout supporter, la faim, la soif, des fatigues excessives, des combats incessans. Sa résolution ne la sauva pas. Quarante mille hommes avaient quitté le rivage de Syracuse, partagés en deux corps. Le corps que commandait Démosthène formait l’arrière-garde ; il fut enveloppé le premier, refoulé dans un enclos d’où il lui devint impossible de sortir. Pendant tout un jour on l’accabla de traits ; le soir venu, cette troupe condamnée mit bas les