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athéniennes s’écrasent et se déchirent. Sept vaisseaux d’Athènes sont coulés sur place ; beaucoup d’autres se retirent ouverts et faisant eau. Plus de doute, Nicias ! la journée est perdue ; il faut faire retraite. Le coup a été prompt ; en quelques minutes la suprématie maritime d’Athènes chancelle. Être battu sur terre, ce n’était rien pour ces rois de la mer ; se voir assaillis sur leur propre élément, être obligés de fuir devant des trières de Corinthe, devant des vaisseaux de Syracuse, voilà ce qui présage à ces orgueilleux assiégeans la ruine inévitable et les plus épouvantables malheurs.

Les Syracusains ont couvert leurs ponts d’hoplites, rempli des barques légères d’une foule de gens de trait. L’ennemi pour la première fois leur a montré ses poupes ; ils le pressent, le harcèlent, et se flattent déjà d’enlever ses vaisseaux à l’abordage. Syracusains, vous n’êtes pas habitués à vaincre ; la guerre maritime a plus d’un secret qu’il vous faudra connaître ; vos trières aujourd’hui ont mal calculé leur élan. Elles franchissent, à la suite des galères qu’elles poursuivent, la ligne des vaisseaux de charge et vont buter à la digne plus serrée des pilotis. Les thons se sont pris dans la madrague. Comment se dégager de cette double enceinte ? D’énormes dauphins de plomb pendent au bout des vergues de chaque hourque marchande et les vergues se croisent presque d’une hourque à l’autre. Malheur à la trière qui s’est aventurée sous cette arche ! La masse de plomb s’abat sur sa couverte, la fracasse, et va crever le vaisseau à fond de cale. Deux trières syracusaines s’abîment submergées ; un équipage se noie, l’autre tombe au pouvoir des Athéniens. Journée douteuse en somme, car les pertes matérielles se trouvent ainsi à peu près balancées ; journée douteuse, si la plus grande perte à la guerre n’était la perte de l’ascendant moral. Cet ascendant, hélas ! on n’en sautait douter, n’appartient plus aux marins d’Athènes ; il est passé du côté des Corinthiens et des Syracusains. Quel événement ! quelle chute ! œuvre d’une matinée, résulta d’un seul instant de surprise ! Il est temps qu’Eurymédon et Démosthène arrivent.


IV

Parti le premier du Pirée, parti avec ses dix vaisseaux vers le solstice d’hiver, Eurymédon se présenta aussi le premier dans la baie de Syracuse. Il y débarqua les renforts dont il était chargé et reprit la mer sur-le-champ pour aller jusqu’en Arcananie au-devant de Démosthène. Tout l’espoir e Nicias reposait maintenant sur la prompte arrivée de la grande flotte dont Eurymédon lui avait annoncé l’armement. Démosthène, il faut en convenir, s’attardait bien