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dans les brumes de l’avenir deux vaisseaux cuirassés pliant sur leurs jarrets, comme les palefrois bardés de fer de deux chevaliers.


III

Pendant que les Corinthiens inauguraient devant Naupacte une nouvelle manière de combattre, les événemens marchaient à Syracuse. Douze vaisseaux de Corinthe, commandés par Erasinidès, y étaient venus apporter à la flotte la confiance que l’armée devait à l’arrivée de Gylippe. Les Syracusains possédaient de nombreuses trières ; jusqu’alors ils n’avaient pas osé s’en servir. Ils les tenaient tirées à sec, dans leur arsenal, sous la protection de leurs murailles. Érasinidès leur fit honte de cette inaction. Les marins d’Athènes n’étaient pas plus invincibles que les hoplites de Sparte ; il fallait seulement savoir déconcerter leur tactique. Le dernier combat livré dans le golfe de Corinthe en indiquait le moyen. Sous la direction des pilotes d’Érasinidès, les proues allongées des vaisseaux syracusains furent rognées ; elles gagnèrent en solidité ce qu’elles perdirent en saillie. On les arcbouta en dedans par d’épais madriers et on les munit, suivant la coutume corinthienne, de deux épotides. Quand tout fut prêt, quarante-cinq galères partirent du petit port où était l’arsenal, doublèrent la pointe orientale d’Ortygie et se présentèrent à l’entrée du grand port. Le grand port avait aussi sa flotte composée de trente-cinq trières. Ces trente-cinq trières se mirent en mouvement. Quelques minutes encore et la jonction allait s’opérer. Quatre-vingts vaisseaux syracusains seraient alors en mesure de se porter en masse sur les retranchemens de Plemmyrion que Gylippe, avec sa cavalerie, attaquerait de son côté par terre.

Les Athéniens avaient transporté leurs magasins du fond du grand port à Plemmyrion ; la majeure partie des vivres, les voiles et les agrès de quarante trières y étaient déposées. Enlever aux assiégeans cette position importante, c’était leur causer un incalculable dommage. Nicias voit le danger ; ce n’est pas la cavalerie et le mouvement tournant de Gylippe qui le préoccupent, c’est l’attaque de front qui peut être tentée par la flotte. Eût-on jamais pensé que Plemmyrion courrait un jour le risque d’être assailli par mer ! Avions-nous prévu, nous autres, Anglais et Français, la sortie du Vladimir, quand nos escadres, dans une sécurité profonde, bloquaient Sébastopol ? On sait dans quel trouble cette simple démonstration nous jeta. L’émotion ne fut pas moins grande au camp athénien, quand les premières trières venues du petit port se montrèrent à l’intérieur de la baie, longeant la côte occidentale d’Ortygie. Nicias court au rivage. Il fait armer précipitamment