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proposa d’embrasser dans un nouveau cercle d’opérations le promontoire Plemmyrion. Le père La Pensée n’eût pas mieux agi au siège de Turin. Nicias jugeait sainement que ce qui lui importait avant tout, c’était de rester maître de l’entrée du port. Sans cette précaution, il courait le risque de passer du rôle d’assiégeant au rôle d’assiégé. Les Syracusains tenaient en leur pouvoir tout un côté de la baie ; il lui fallait la possession de l’autre, sous peine de voir ses convois interceptés. L’occupation de Plemmyrion était donc nécessaire, mais cette occupation allait s’exercer dans les conditions les plus dures. L’eau était rare sur le massif rocheux qui descend à la mer en regard d’Ortygie ; le bois ne s’y offrait guère plus abondant. On devait aller chercher l’une et l’autre à une assez grande distance du camp. Les cavaliers syracusains rôdaient aux alentours ; à chaque instant quelque travailleur isolé était enlevé. L’ascendant moral passait peu à peu du côté de Syracuse ; encore quelques échecs et les assiégeans allaient se trouver réduits à une attitude purement défensive.

Rien n’était perdu cependant, tant qu’Athènes garderait intacte sa suprématie maritime. Les Corinthiens pensèrent qu’ils ne trouveraient jamais une meilleure occasion de la lui ravir. Ils armèrent des vaisseaux avec une activité fiévreuse, en dirigèrent douze sur Syracuse et vinrent, avec trente-trois autres, affronter la flotte athénienne de Naupacte. Les Corinthiens, dans ce combat, perdirent trois navires ; en revanche, ils mirent, ce qui ne leur était jamais arrivé, sept navires athéniens hors d’état de reprendre la mer. Comment obtinrent-ils ce résultat ? Ils allèrent droit aux Athéniens ; ils marchèrent sur eux de toute leur vitesse, à toutes rames, sans se détourner, au grand étonnement des trières ennemies, et ils les choquèrent proue contre proue. Les deux vaisseaux, en se rencontrant ainsi de pointe, ont dû se dresser l’un contre l’autre ; ils ont dû s’ouvrir mutuellement ; sans doute on les a vus disparaître à la fois dans le gouffre ! Pas le moins du monde : les Corinthiens avaient renforcé leurs avans, — je ne dirai pas qu’ils les eussent coupés en travers par des cloisons étanches, mais ils les avaient fortement étançonnés à l’intérieur, — ils enfoncèrent les joues laissées sans défense des vaisseaux d’Athènes ; leurs vaisseaux à eux-mêmes ne firent que rebondir en arrière.

Retenons bien ce fait, car il marque l’avènement de toute une révolution dans la tactique navale ; le choc de proue, se substituant au choc donné jusqu’alors par le flanc, va dominer les opérations maritimes en Sicile.

Les anciens nous auraient-ils, par hasard, donné encore ici une leçon ? Arrêtons notre esprit sur ce grave problème. Quand deux