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En temps de révolution, qui se croit indulgent envers ses adversaires n’est pas même toujours assez juste ; l’indulgence cependant a des bornes, et la notion du devoir serait, confessons-le, profondément troublée, si l’on pouvait un seul instant admettre avec Alcibiade, du plutôt avec Thucydide, — car c’est bien Thucydide qui parle, — « que le vrai patriotisme ne consiste point à ne pas attaquer une patrie qu’on nous a injustement ravie, mais à tout mettre en œuvre pour la retrouver. » Ce coupable amour, — l’histoire en fait foi, — n’a jamais trouvé accès dans le cœur des Aristides, des Cimons ou des Périclès ; il faut le laisser, avec ses sophismes, aux Alcibiades et à leurs admirateurs. On peut être divisé, — quel peuple ne le fut pas ? — on peut prendre parti pour la rose blanche ou pour la rose rouge, se ranger du côté des Capulets ou du côté des Montaigus ; devant l’étranger, il faut rester uni. « Si je veux que mon mari me batte ! » est encore la meilleure réponse à faire aux indiscrets qui s’introduisent dans les querelles de ménage.

Les Lacédémoniens, bien que leur esprit fût lourd et peu apte aux calculs de la politique, saisirent cependant sans peine la portée du conseil qui leur était donné. Sparte commença par décréter l’envoi immédiat d’un général en Sicile. Son choix tomba sur Gylippe, fils de Cléandridas, et les Corinthiens, toujours prêts quand il s’agissait de nuire à l’odieuse Athènes, déclarèrent qu’ils se chargeraient de conduire le général Spartiate de la côte d’Élide à Syracuse.

Alcibiade parti, Nicias était revenu à son premier projet de secourir Égeste et de réduire Sélinonte. Dominé par l’illustration de son collègue, Lamachos se soumit et abandonna son propre sentiment pour se ranger à l’opinion de Nicias. L’armée fut donc de nouveau embarquée, et la flotte, au lieu de tourner à gauche, c’est-à-dire au sud, pour descendre de Catane à Syracuse, remonta vers le nord, enfila le canal qui sépare les rochers de Scylla du tourbillon de Charybde, en sortit pour longer la côte septentrionale de Sicile, passa devant Milazzo, devant Termini, qui portait alors le nom fameux d’Hîmère, trouva partout un accueil assez froid, parfois un accueil hostile, et finit par aller aborder à Égeste. Les Égestains avaient fait de magnifiques promesses quand ils sollicitaient l’intervention d’Athènes ; on vit leurs députés apporter alors, comme simples prémices, un subside de 248,000 francs, la solde de soixante vaisseaux pour un mois. Les Athéniens furent à peine engagés dans cette expédition, dont Égeste se disait de force à supporter tous les frais, que le langage des Égestains changea ; ils ne firent plus mystère de leur pauvreté ; ils l’exagérèrent même. Est-ce bien