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baignent ; les Athéniens furent autorisés à tirer leurs vaisseaux à terre. Ne leur fallait-il pas quelques jours de repos après les longues fatigues d’une aussi laborieuse traversée ?

Une fois les trières en sûreté sur la plage, on délibéra : vers quel point de la côte de Sicile allait-on se porter ? Nicias voulait qu’on allât à Sélinonte, puisque c’était contre Sélinonte qu’on avait été appelé par les habitans d’Egeste. Alcibiade, qui se souciait peu de la querelle de ces deux cités et qui n’y voyait qu’un prétexte pour marcher à la conquête de la Sicile, insistait pour qu’on traversât le détroit dans sa partie la plus resserrée. On arriverait ainsi en quelques heures sous les murs de Messine. A Messine, c’étaient encore des Messéniens qu’on rencontrerait, par conséquent des ennemis héréditaires de Sparte. Qui haïssait Sparte ne pouvait se montrer défavorable à une expédition athénienne. Lamachos n’était ni de l’avis de Nicias, ni de l’avis d’Alcibiade ; il avait, lui aussi, son plan, et ce plan, une fois le projet de conquête admis, était de beaucoup le plus raisonnable. Lamachos demandait qu’on cinglât, sans tarder et sans s’arrêter nulle part ailleurs, vers le port de Syracuse. Enrichie par le commerce des grains, Syracuse était, dès cette époque, une ville dont l’étendue le cédait à peine à l’étendue d’Athènes. On pouvait la surprendre ; si on lui laissait le temps de se reconnaître, d’appeler à elle les forces des villes alliées, de se remettre surtout de l’émotion du moment, il fallait s’attendre à une résistance énergique.

Ces irrésolutions sont fréquentes ; elles se produisent dans toutes les expéditions sur lesquelles plane une vague inquiétude. N’avons-nous pas vu de nos jours une flotte immense errer sur la Mer-Noire avec le convoi éperdu qui la suivait ? Ne l’avons-nous pas vue, cette flotte, se tourner tantôt vers Kaffa et tantôt vers Eupatorie, pour aller aboutir enfin, s« ans moyens de transport, à une plage sans eau ? Il y avait cependant un autre point de débarquement arrêté à l’avance, un point de débarquement choisi pour une armée qui n’était pas en mesure de marcher. Au dernier moment, on recula devant l’exécution du plan convenu ; les difficultés apparurent quand l’heure de l’action approcha, les impossibilités hautement proclamées en revanche s’évanouirent. N’y a-t-il pas dans ce double exemple la preuve manifeste de l’utilité d’une flottille ? Ce qui jette le trouble dans une flotte de transport n’est qu’un jeu pour une réunion de bateaux. La flottille est flexible ; elle se ploie sans effort à toutes les indécisions du chef ; et des indécisions, vous pouvez tenir pour certain qu’il y en aura.

l’avis d’Alcibiade prévalut sur celui de Nicias et de Lamachos. Alcibiade avait pour lui le crédit que donne une naissance illustre