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les vieux murs et passé sous une poterne étroite, épaisse et longue, on va, tout étonné, des vieilles églises, qui ont une haute et fière mine, à un hôtel de ville qu’on dirait apporté, avec son campanile détaché, de quelque cité italienne, puis on entre dans une rue moderne, dont toutes les maisons sont bâties sur un même modèle. Les monumens rappellent ces chevaliers qui ont apporté sur la terre de Prusse des souvenirs du monde entier, et les maisons modernes, bâties au temps de Frédéric sur quelque plan venu de Berlin, et alignées comme un bataillon, représentent, à côté de la grandeur poétique et des élans d’imagination d’un autre âge, la prose et la discipline prussiennes. On trouve ces antithèses dans tout le pays entre Culm et Thorn, que j’ai parcouru par des chemins mal entretenus où les chevaux piaffaient dans la boue liquide, car le gouvernement prussien néglige ses provinces de l’est, ce qui est peut-être une imprudence. Dans la plaine, légèrement ondulée, semée de petits lacs et de blocs erratiques sous lesquels les vieux Prussiens enterraient les cendres de leurs morts, on aperçoit presque toujours, à quelque point de l’horizon vaste et morne, le profil d’un clocher et d’une ruine. C’est, par exemple, Papau où il reste d’énormes murs de pierre, percés d’ogives encadrées de briques ; Culmsee, un pauvre village au pied de deux églises colossales à trois nefs, aux voûtes très hautes, et dont le portail est surmonté d’une tour carrée, que flanquent des contre-forts. C’est Thorn, dont le château ruiné, aux assises cyclopéennes, garde la trace de l’incendie qui le détruisit au XVe siècle : l’hôtel de ville est un des plus fiers monumens de l’architecture municipale allemande ; trois églises, où la brique a fait des merveilles, offrent à la curiosité du philologue et de l’historien une inscription sur un baptistère, qui n’a point été déchiffrée, et qu’on dit prussienne, une autre en caractères arabes, qui encadre un portail de Saint-Jacques. Ces souvenirs du passé font trouver le présent misérable, car ces monumens gigantesques siéent à ces villages et à ces villes comme ferait à un enfant malingre l’armure d’un chevalier de sept pieds.

Le Culmerland soumis, la conquête suivit la Vistule, dont tout le cours fut bientôt commandé par les forteresses de Thorn, Culm, Marienwerder et Elbing. Dès lors les teutoniques furent en communication par la Baltique avec la mère patrie allemande ; mais derrière eux était le duché slave de Poméranie, voisin peu sûr, qui voyait avec inquiétude, et il avait raison, des conquérans allemands s’établir en pays slave. La guerre que le duc Swantepolk fit à l’ordre en 1241 fut le signal d’une première révolte des Prussiens, qui dura onze aimées et qui fut terrible. Les chevaliers l’emportèrent, et le bruit de ces luttes et de ces victoires attira de nouveaux croisés, parmi lesquels parut, en 1254, le roi de