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s’exposerait, en dédaignant celle-ci, à ignorer les causes d’événemens très graves et modernes.


I

Les Prussiens que les chevaliers teutoniques ont détruits au XIIIe et au XIVe siècle étaient un peuple de race lithuanienne mélangé d’élémens finnois ; ils habitaient aux bords de la Baltique, entre la Vistule et le Pregel, dépassant un peu ces deux fleuves. Leur pays était situé et fait de telle sorte qu’un peuple pouvait, sans être troublé, y vivre longtemps isolé. A l’ouest, la Vistule, plus large qu’aujourd’hui, inondait son delta de ses eaux et chaque année l’encombrait de glaces, qui, l’été venu, fondaient en une mer de boue. Au nord, la côte est accompagnée, à des distances variables, par les Nehrungen, langues de terre étroites et longues, recouvertes de dunes mobiles, et qui s’élèvent presque à pic à des hauteurs de 30 à 60 mètres, entre la pleine mer et des lagunes d’une eau à peu près douce qu’on appelle Haff. Ce sont de véritables barrières, et quand de certains points du rivage on regarde vers l’horizon, les vaisseaux qui apparaissent au delà des Nehruhgen semblent des édifices fantastiques bâtis au sommet d’une colline lointaine. En quelques endroits, la barrière s’abaisse : un canal laisse passage aux navires ; mais ces canaux se sont plusieurs fois déplacés : la mer les a bouchés pour se frayer passage autre part. Voilà certes un rivage qui n’invite pas le navigateur. A l’est, la Prusse est plus ouverte ; mais la Lithuanie, sa voisine, était habitée par un peuple frère du peuple prussien, professant la même religion que lui et qui l’a soutenu dans sa lutte contre la civilisation occidentale. Au sud, vers la Pologne, le terrain n’est pas si libre d’obstacles qu’on se l’imagine quand on se représente la plaine septentrionale comme absolument uniforme. Une longue chaîne de hauteurs, médiocres il est vrai, qui part du Holstein, parcourt le Mecklembourg, la Poméranie et la Prusse, pour aller gagner l’Oural à travers le far-east européen. En approchant de la rive gauche de la Vistule, ces collines s’élèvent, et le voyageur qui de Berlin se rend à Danzig voit, avant d’arriver à cette ville, les dépressions succéder aux saillies, les ruisseaux prendre des airs de torrent, et même par endroits se précipiter en cascades : le Thurmberg, qui mesure 330 mètres, a la structure pittoresque d’une grande montagne. Sur la rive droite de la Vistule, les collines, moins hautes, enveloppent par le sud la région prussienne. On y trouve des étangs, petits pour la plupart, mais en si grand nombre qu’il n’est guère de points