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maison de l’évêque de Riazan ; lui-même devait occuper dans le bâtiment principal la chambre et la grand’salle ; on avait donné pour demeure à ses deux acolytes le réfectoire, les serviteurs étaient relégués dans les sous-sol. Il était interdit aux Grecs, aux Turcs et autres étrangers de pénétrer dans ce logis ; il était également interdit aux serviteurs de nos prélats d’en sortir. Seuls, les gens qui apportaient des provisions de la part du métropolite Job, des membres du haut clergé et des boïars, avaient accès chez les reclus. Si quelque étranger demandait à parler au patriarche ou que celui-ci exprimât un désir semblable, les commissaires devaient répondre qu’ils en référeraient au conseil et à André Stchelkalof, diak des ambassades ; on désignait ainsi le fonctionnaire préposé aux relations extérieures. — C’était, on le voit, dans une véritable captivité que Godounof entendait retenir son hôte, pour y poursuivre plus à son aise la négociation qui lui tenait tant à cœur. Telles étaient d’ailleurs les pratiques usitées à cette époque envers les ambassadeurs, comme en font foi plusieurs rapports de ces derniers à leurs cours.

Ce fut aussi l’étiquette réservée aux ambassadeurs que le tsar adopta lors de la première audience accordée à Jérémie, une semaine après son arrivée. Les boïars vinrent en grande cérémonie prendre le patriarche au logis de Riazan et le conduisirent chez leur maître. « Les seigneurs marchaient en tête, magnifiquement vêtus d’habits de brocart et tout couverts de perles : les moines en robes noires suivaient ; au milieu, Sa Béatitude s’avançait entre ses deux légats, le métropolite de Monembasia, et moi, l’humble Arsène, venu de la Grèce. » Le cortège franchit la porte sainte du Kremlin sous l’image miraculeuse et se présenta à la porte d’or du palais. On l’introduisit dans la pièce de parade qui subsiste encore et a gardé le nom de salle des Patriarches. C’est une chambre écrasée sous des voûtes basses, à peine éclairée par des baies étroites ; on ne distingue que le fond d’or de ces voûtes, sur lequel se détachent des figures de saints et des peintures d’une tonalité sombre. Tout respirait dans ce palais l’horreur religieuse dont l’Asie entoure ses souverains ; en se courbant sous les petites portes, abaissées à dessein, comme au Séraï de Stamboul, pour forcer les envoyés étrangers à saluer plus bas, Jérémie dut revoir en pensée sa première visite au sultan Sélim. Féodor Ivanovitch était assis sur un trône précieux, au-dessous d’une image de la Vierge étincelante de pierreries ; à sa droite, une grande sphère d’or représentait la mappemonde ; le tsar tenait à la main un sceptre d’ivoire, constellé de diamans et de saphirs. Les knèzes, le haut clergé et les religieux étaient debout autour de lui, dans l’attitude d’une crainte