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amoureux en rappelant que tous les poètes l’ont été comme lui. Il remonte jusqu’à Orphée, et toute la littérature y passe. Il a grand soin de faire remarquer que les philosophes eux-mêmes « qui ont été assez sots pour choisir un genre de vie sévère et dont l’esprit chagrin ne se plaît qu’à des réflexions obscures et à des discours rebutans n’ont pas pu se soustraire aux tempêtes de l’amour et qu’ils se sont abandonnés comme d’autres à la conduite de ce cocher redoutable. » Ce qui lui donne l’occasion de parler des amours de Pythagore et de Socrate. Ces énumérations d’aventures amoureuses étaient devenues une sorte de loi du genre, et on les regardait comme si nécessaires dans l’élégie qu’un grammairien grec, Parthénius, qui habitait Rome au commencement de l’empire, eut l’idée d’en faire un recueil. Il vivait dans l’intimité d’un grand seigneur romain, Cornélius Gallus, homme d’état et homme d’affaires, qui se piquait d’aimer les poètes d’Alexandrie et faisait des vers à ses momens de loisir ; Parthénius lui dédia son petit livre, et il dit dans sa préface qu’il l’a rédigé pour aider la mémoire de son ami, quand il lui viendrait à l’esprit de composer quelque élégie : tant il était de règle que ces vieux souvenirs prissent place dans les chants des poètes élégans qui voulaient imiter Callimaque !

Ici M. Rohde s’interrompt pour se faire une question que ses lecteurs assurément se sont déjà posée. Lorsqu’il songe à l’importance que prend tout d’un coup dans les lettres la peinture de l’amour, quand il voit qu’elle envahit la philosophie et l’histoire aussi bien que la poésie et qu’aucun genre ne lui échappe, il se demande si ce n’est pas l’indice de quelque grave changement social, et si par exemple il ne faut pas conclure des éloges dont les poètes comblent les femmes et du soin qu’ils prennent de les chanter que leur condition dans le monde est devenue meilleure. C’est assurément la première pensée qui vient à l’esprit, et le savant archéologue, M. W. Helbig, dans son ouvrage sur les peintures murales de Pompéi, ne doute pas que les femmes n’aient été plus libres et plus considérées, qu’elles n’aient tenu plus de place dans la famille et dans l’état à l’époque dont nous nous occupons qu’avant Alexandre. M. Rohde en est beaucoup moins convaincu que M. Helbig, et il n’est pas aisé de décider lequel des deux a raison. Ce qui permet d’avoir à ce sujet des opinions différentes, c’est que la Grèce comprenait alors des nations très diverses, qui n’avaient pas la même façon de vivre : ici, on conservait obstinément les anciens usages ; là, on cédait aux mœurs nouvelles. Ce qui est vrai d’Antioche ou d’Alexandrie ne l’est pas de Tarse ou de Rhodes : aussi est-il difficile d’établir une loi générale et qui puisse s’appliquer à tout. Ce qui est bien plus extraordinaire, c’est que, sans sortir du même pays, on trouve