Page:Revue des Deux Mondes - 1879 - tome 32.djvu/241

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

contemporains. M. de Sacy était, quant à lui, de cette forte et brillante génération d’autrefois qui a été mêlée à tout, à la politique comme à la littérature, depuis plus d’un demi-siècle. Il avait commencé sous la restauration, il avait débuté dans les grandes luttes libérales du temps avec l’ami de sa jeunesse, Saint-Marc Girardin ; il avait été sous la monarchie de juillet un des plus infatigables polémistes, un des plus habiles défenseurs du régime nouveau. Dégoûté et détaché depuis de la politique trop fertile en mécomptes, il s’était réfugié dans les lettres, sa première et invariable passion. Les lettres, il les aimait pour elles-mêmes, en vrai raffiné, et, pour être moins exposé à se tromper, il avait fini par se rattacher à ce qu’il y a de plus auguste, aux plus hautes traditions, à Cicéron dans l’antiquité, au XVIIe siècle, à Bossuet, à Bourdaloue, à Mme de Sévigné, à Fénelon. Il n’était insensible ni aux conquêtes libérales du siècle, ni au talent chez ses contemporains, il avait son monde préféré où il aimait à vivre ; il s’y tenait sans effort, ou s’il en sortait, c’était pour y rentrer aussitôt, et dans tout ce qu’il a écrit sur cette littérature ancienne, il mettait autant de feu que de sûreté et de goût. Il est mort avec son culte pour les lettres, pour les livres, pour la vie de famille.

M. de Sacy du moins était arrivé à un grand âge. Atteint d’une maladie qu’il savait inexorable, dont il pouvait suivre tes progrès, il a vu venir la mort avec la sérénité d’une âme religieuse, et peu avant sa fin il s’est plu à transmettre à l’Académie française, dont il était depuis longtemps, qu’il appelait sa seconde famille, d’émouvans adieux. M. Saint-René Taillandier au contraire a été frappé à l’improviste, dans un âge bien moins avancé, dans toute la maturité, dans le plein essor de l’esprit ; il a été enlevé en un quart d’heure, lorsque tout semblait lui promettre encore de longues années de vie et des succès dignes de son talent. M. Saint-René Taillandier laisse assurément, lui aussi, le souvenir de la plus honnête et la plus studieuse carrière. Il n’a jamais rien dû aux hasards de la politique, et s’il s’est trouvé un instant en 1870-1871 secrétaire général du ministère de l’instruction publique, il n’a été à ce poste que pour être à l’épreuve et à la peine pendant le siège de Paris et pendant les tristes mois qui ont suivi.

La vie de M. Saint-René Taillandier a été une vie d’étude et de travail. Elle s’est passée tout entière, depuis les premières années de sa jeunesse, dans le haut enseignement, à Strasbourg, à Montpellier, puis à la Sorbonne. Cette vie littéraire, nous pouvons bien le dire avec l’émotion d’une amitié contristée, elle s’est passée aussi dans cette Revue dont l’éminent écrivain a été un des collaborateurs les plus assidus et les plus fidèles. Il est entré ici pour la première fois il y a plus de trente-cinq ans, et il y est resté jusqu’au bout, jusqu’à la dernière heure, puisqu’il y a quinze jours à peine, il écrivait sur M. de La-