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ministre de l’intérieur ne se trompait pas en dévoilant un mal qu’il atténuait, loin de l’exagérer. Il est évident que cette situation extérieurement régulière, suffisamment forte ou réputée telle, restera travers tout aussi incertaine que laborieuse, si bien qu’on en est encore à se demander incessamment si on touche à quelque crise ministérielle, à quelque crise de gouvernement, à quelque explosion nouvelle de l’imprévu.

À quoi tient ce phénomène singulier dont tout le monde est frappé, excepté les optimistes disposés à trouver que tout est pour le mieux depuis qu’ils se croient assurés du triomphe de leurs idées ou de leurs rêves ? À quoi tient ce malaise intime dans une situation qui n’a sans doute rien d’immédiatement menaçant ? C’est que toutes les illusions des partis ne peuvent déguiser la vérité des choses et que précisément ces conditions que réclamait M. Thiers pour la marche d’un régime régulier sont loin d’être réalisées de façon à dissiper toutes les inquiétudes ; c’est qu’il n’y a dans le parlement, tout au moins dans la chambre, des députés, qu’une majorité confuse et mobile, livrée presque sans défense à toutes les excitations, à toutes les surprises, et que le ministère à son tour, si bien intentionné qu’il soit, ne peut éviter des concessions ou des réticences qui l’affaiblissent ; c’est que cette république que M. Thiers a fait accepter en lui donnant son esprit et sa politique, qui a son symbole et sa loi dans une constitution modérée, semble arrivée au point où elle pourrait d’un instant à l’autre changer de caractère, au risque de rallumer les conflits, de retomber dans les agitations. C’est qu’enfin depuis un mois toutes les prétentions et toutes les fantaisies sont à l’œuvre, multipliant les incidens pénibles, embarrassant ce gouvernement ; nouveau, dont on vante la force, de toutes ces questions importunes dont la solution, fût-elle favorable, risque désormais d’être trop laborieusement conquise pour dégager la situation de tous les nuages.

On en a du moins fini pour le moment avec l’amnistie à la chambre des députés et on va en finir d’ici à peu au sénat par le vote de l’acte concerté entre le ministère et les commissions parlementaires. C’est là assurément une de ces questions qu’on aurait pu épargner au gouvernement nouveau et à la république elle-même, qui ne répondent ni à un mouvement d’opinion, ni à une nécessité des choses, qui ne sont au contraire qu’un embarras ou une expression du trouble des idées. Quelles raisons sérieuses ont pu produire les partisans de l’amnistie, ceux qui auraient voulu une amnistie entière et complète ? On a eu beau faire, la discussion qui s’est engagée dans la chambre des députés n’a révélé rien de nouveau. Les défenseurs de l’amnistie plénière, M. Louis Blanc, M. Clemenceau, n’ont pas réussi à relever la cause qu’ils soutenaient, à lui donner le caractère d’un de