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plir ma mission à d’autres conditions. » Si je me trompe, que l’on imite ma franchise ; que l’on vienne dire qu’il ne faut pas résister à la révolution qui s’égare, qu’il ne faut pas chercher à arrêter le char lancé avec toute sa rapidité, qu’il faut le laisser se précipiter dans l’abîme !… Pour nous, nous sommes les ministres de la résistance… » Il s’exprimait ainsi en 1834, et aux propositions d’amnistie dont on cherchait à l’embarrasser, il répondait en faisant remarquer spirituellement que c’était fort bien d’être généreux, mais qu’en parlant d’amnistie on avait toujours des trésors d’indulgence pour ceux qui attaquaient les lois, et on avait l’air de vouloir amnistier ceux qui les défendaient. Il revendiquait hautement sa responsabilité dans les répressions nécessaires, et en refusant de subir la loi des minorités turbulentes, il savait bien qu’il répondait à l’instinct de la masse du pays.

Il y a dans les discours de la jeunesse de M. Thiers un autre sentiment très vif et toujours juste : c’est que le régime parlementaire ne vit pas d’incohérences et de fantaisies, c’est que pour garantir la sincérité, l’efficacité de ce régime il faut une politique clairement définie, un ministère sérieux pour pratiquer cette politique, et une majorité réelle pour soutenir ce ministère. Aussi M. Thiers ne voulait-il pas dès lors et n’a-t-il jamais voulu d’un pouvoir marchandé ou toléré ; il a été toute sa vie l’homme le plus prompt aux démissions et aux abdications : il l’a bien prouvé depuis ! Il n’entendait ni braver, ni violenter les chambres ; il tenait tout simplement à sauvegarder la dignité du gouvernement, l’intégrité de ses prérogatives. Il demandait la netteté, et lorsque pur subterfuge on essayait de glisser quelque amendement qui semblait inoffensif, mais qu’on n’aurait pas manqué le lendemain de représenter comme un échec pour le gouvernement, il disait avec vivacité : « Non, non, je comprends qu’on veuille renverser un ministère, mais qu’on veuille l’affaiblir sans le renverser, voilà ce que je ne comprends dans aucun gouvernement. Nous n’y pouvons pas consentir… On doit, dans le gouvernement représentatif, souhaiter qu’il y ait un ministère le meilleur possible. Il faut, si le ministère n’est pas bon, le renverser. Quand il y est, on ne doit pas l’affaiblir, le pays n’y peut rien gagner… » Et un autre jour, pressant la chambre de se prononcer nettement, sans détour, il ajoutait : « Quand un ministère est mis en doute, croyez-vous qu’il puisse traiter avantageusement avec les cabinets étrangers ? croyez-vous qu’on donne sa confiance à des ministres qui vont passer ?… On par le d’améliorations matérielles ! Quel est le ministre qui, ayant en perspective une retraite prochaine, peut concevoir des vues utiles et lointaines ?… » M. Thiers, mieux que tout autre, savait le pouvoir de l’esprit de division dans les chambres, l’influence dissolvante des prétentions et des fantaisies individuelles, l’hésitation de beaucoup d’hommes improvisés législateurs à écouter la simple rai-