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l’application sévère des châtimens corporels est admise. C’est également aujourd’hui encore le système pratiqué en Angleterre. Dans ces deux pays de liberté, on pense qu’il n’y a pas de meilleur moyen de tremper les caractères et de les former à l’usage précoce de l’indépendance.

Cette nécessité de la discipline pour le gouvernement des hommes de tout âge s’impose tellement qu’on trouve aux États-Unis l’autorité fortement constituée dans tous les établissemens publics. Ainsi, dans les hôpitaux de New-York, le médecin directeur, seul chef et seul responsable, a la haute main sur son personnel, qui lui est entièrement soumis. Il en était de même dans ces ambulances si remarquablement organisées pendant la terrible guerre de la sécession. C’est bien là du reste l’application généralisée des théories américaines sur l’indépendance et la responsabilité du pouvoir exécutif. N’a-t-on pas dit non sans raison du président même des États-Unis qu’il est plus puissant qu’un roi constitutionnel ?

En visitant les écoles des différens degrés, l’auteur constate le mélange des sexes qui se prolonge depuis sept ans jusqu’à dix-huit ou dix-neuf sans que les convenances, paraît-il, aient rien à souffrir de ces rapports quotidiens. M. de Turenne s’est laissé dire par son guide que l’on n’avait qu’à se louer des résultats obtenus. « De cette façon, ajoutait M. Doty, superintendant des écoles de Chicago, nous ne laissons aucun rôle à l’imagination. » Sans nul doute. Ici même un écrivain éminent[1] rappelait le propos de cette fillette de cinq ou six ans qui, à la vue d’une image représentant deux amoureux, disait naïvement à sa mère : « Tiens, c’est comme après la classe. » Si peu habituels que soient de pareils faits, n’y a-t-il pas là quelque raison de modérer son enthousiasme, et de louer plus sobrement la liberté juvénile d’une trop étroite confraternité entre neveux et nièces de l’Oncle Sam ? M. de Turenne évite avec soin de s’aventurer sur ce terrain glissant. Sans avoir comme lui reçu l’hospitalité gracieuse d’une société d’élite, nous imiterons sa réserve. Mais pourquoi ce sujet délicat de l’éducation des filles fait-il songer, malgré soi, au sort de la constitution des États-Unis ? Assurément celle-ci n’a pas rencontré de Tarquin ravisseur, mais elle s’est laissé fortement lutiner d’amendemens en compromis par ses propres fidèles, de manière à n’être plus ce qu’elle était autrefois. On assure qu’en flirt et en amour, comme en politique, il ne manque pas de carpet-baggers, toujours prêts à mettre en pratique la doctrine américaine du droit aux dépouilles, et à profiter du privilège des candidatures. Ceux qui voient les

  1. M. Paul Janet. De l’instruction primaire au point de vue psychologique, Revue du 1er janvier 1879. Dans la partie de son étude qui a trait aux États-Unis, l’auteur s’appuie sur l’intéressant rapport de M. Buisson.