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douces, que ne sauraient laisser soupçonner les révélations plastiques et les empressemens serviles du harem ? Les mille et une nuits d’Asie valent-elles l’heure unique qui parfois décide à jamais de notre destinée ? Que l’Orientale possède une intelligence et une âme, on le doit croire ; la philosophie et la religion l’enseignent, mais qui s’en est jamais aperçu ou soucié ? Pas elle-même, à coup sûr, ni ses maîtres, blasés d’obéissances forcées qui leur suffisent.

Un abîme sépare ces deux sociétés dont l’une a pour ainsi dire annulé la femme, tandis que l’autre lui accorde le premier rang. Il se rencontre bien certaines dissonances et quelque défaut de mesure dans l’attitude des Américaines. Croiraient-elles avoir suffisamment établi leur empire si elles n’en abusaient pas quelque peu ? Naturellement la politique les passionne, mais le rôle d’Égéries à demi voilées ne leur suffit pas. Aux discussions de salon, elles semblent préférer les débats plus émouvans des clubs, et prétendent ouvertement à conquérir le droit de vote. En attendant, on les voit prendre part aux réunions électorales, où elles forment généralement un tiers de l’assemblée. Les orateurs n’affrontent pas sans appréhensions cet auditoire féminin, et préfèrent de beaucoup le tumulte des meetings en plein vent aux fines remarques de ces appréciatrices sévères et délicates, toujours prêtes à critiquer la moindre fausse note dans le geste ou la diction. Malgré leur irruption dans la vie masculine, ces femmes fortes ne sont pas au-dessus des frivolités ordinaires. Si démocrates que soient les États-Unis, chacun y raffole d’honneurs, de titres, de qualifications officielles, et les femmes ne sont pas les dernières à partager cet engouement. Quand on apprit que M. de Turenne avait eu l’honneur de porter l’épaulette dans l’armée française, chacun l’appela : mon colonel, malgré ses protestations. Ne raconte-t-on pas aussi qu’une Américaine du bon temps avait donné à son fils le singulier prénom de Marquis en souvenir de Lafayette ?

L’influence des Américaines et le prestige généralement justifié qu’elles exercent tiennent en grande partie à la supériorité incontestable de leur éducation intellectuelle sur celle des hommes. Le jeune Yankee, pressé de se lancer dans le mouvement des affaires, n’a pas le temps de s’attarder sur les bancs de la maison d’école. Aussi, sauf peut-être dans les états de la Nouvelle-Angleterre, ses connaissances ne dépassent guère le niveau d’une instruction primaire, solide et pratique. Afin de corriger les inconvéniens de cette éducation hâtive qui a pour effet d’affranchir de bonne heure l’enfant, et de le soustraire à la tutelle de la famille pour l’abandonner sans expérience et sans guide au milieu des difficultés de la vie active, on a senti l’impérieuse nécessité de le soumettre à une discipline scolaire des plus rigoureuses. Presque partout en Amérique,