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occupée par les populations liguriennes. Le petit port devint bientôt un entrepôt d’une sérieuse importance ; il se forma en peu de temps une véritable ville gréco-phénicienne, et les affaires de cette première colonie grecque durent prospérer assez bien, puisque cinquante-sept ans après (an de Rome 211, — 542 avant J.-C.) tous les habitans de Phocée n’hésitèrent pas à s’expatrier en masse, à quitter définitivement leur ville assiégée par les Perses et les Mèdes, et à venir chercher fortune sur les côtes méditerranéennes de l’Ibérie et de la Celtique.

Ce départ fut une fuite. Embarqués sans ordre, sans discipline et groupés en familles, les Phocéens abordèrent un peu partout, en Corse, en Espagne, en Italie, en Provence, portant pieusement avec eux l’image sacrée de leur déesse favorite, Diane d’Éphèse, dont les mystères devaient constituer avec ceux d’Apollon la religion officielle de toutes leurs colonies.

Or nous savons par le témoignage d’Apollodore qu’un des vaisseaux de la flotte, qui errait un peu à l’aventure sur cette mer inconnue, fut séparé des autres navires par une violente tempête. Poussé sur la côte de Ligurie et ne pouvant plus reprendre le large, il vint échouer dans un petit golfe de la plage. A peine débarqués sur un territoire ennemi, les Grecs se bâtirent à la hâte quelques habitations, occupèrent la hauteur voisine et donnèrent à leur ville naissante le nom de Tauroeis en souvenir de l’image du taureau qui décorait la proue de leur navire.

Ce fut l’origine de Tauroentum. Toutes les autres colonies grecques furent établies à peu près à la même époque et dans des circonstances analogues. Unies entre elles par une communauté d’origine, de langage, de croyances et d’infortune, elles avaient les mêmes-mœurs, les mêmes goûts, les mêmes intérêts. Les relations constantes qu’elles entretenaient avec Massalia, déjà riche et puissante, ont fait croire à plusieurs géographes anciens qu’elles lui devaient leur fondation. Strabon lui-même, ordinairement si exact, l’affirme sans preuve et après lui une foule d’auteurs l’ont répété avec une docilité parfaite. Il n’en est rien. Toutes ces villes grecques jouissaient d’une indépendance complète. Marseille ne leur envoyait ni troupes ni magistrats ; elle ne leur dictait aucune loi. Chacune se gouvernait à sa guise. Il n’existait pas entre elles ce que l’on pourrait appeler un système colonial ; et tous les établissemens grecs qui ont prospéré sur les côtes de la Méditerranée ont été et sont toujours restés libres jusqu’à leur chute, formant entre eux une sorte de fédération commerciale unie seulement par le sentiment de l’intérêt commun, la croyance aux mêmes dieux et les souvenirs de la mère patrie. Il est donc absolument inexact, si on applique aux mots leur véritable sens étymologique, de dire que