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fixé d’une manière indiscutable l’existence et, l’assiette, de la ville de Tauroentum,

Ville, acropole, port, travaux de canalisation, monumens publics, lambeaux, monnaies, débris d’œuvres d’art, d’inscriptions et d’objets usuels, voilà ce que les fouilles ont permis de retrouver. Les découvertes archéologiques ont donc merveilleusement corroboré les textes déjà si précis des anciens géographes, et l’on peut affirmer que le rocher de Baumelles et la plage des Lèques, l’un aujourd’hui désert, l’autre ensablée, marquent la place de l’ancienne colonie phocéenne.

Mais, s’il a été possible de retrouver le sol, il est bien difficile de reconstituer l’histoire de la ville disparue. Son origine, comme celle de la plupart des villes littorales de la Provence, se perd dans la nuit du passé. Il est fort probable cependant, pour ne pas dire certain, que, bien avant l’émigration grecque, il existait dans le petit golfe de Tauroentum un embryon de port assez enfoncé dans les terres et qui devait servir aux navigateurs de ces époques reculées. Ptolémée dit en termes formels que la contrée était habitée par une des tribus de la race celto-ligure, qui portait le nom de Commoniens et qui vivait à l’abri des forêts de pins qui couvraient, alors plus encore que de nos jours, toute la région littorale ; dès lors il n’est peut-être pas bien téméraire de penser que le bois actuel de Conil, dont le nom semble n’être qu’une corruption de Commonil, soit un reste de l’ancienne forêt ligurienne. Quoi qu’il en soit, ce que l’on peut appeler la vie historique de Tauroentum remonte incontestablement à l’époque de la première ou de la seconde expédition que les Grecs d’Ionie firent sur les côtes de cette partie de la Gaule méridionale que Ptolémée appelait la Celto-Galatie, et qui, malgré les occupations phénicienne, grecque et romaine, a conservé presque jusque dans les temps modernes le nom de Ligurie.

On sait en effet que, dans la première année de la 45e olympiade (an de Rome 154, — 599 ans avant J.-C.), une flottille grecque, montée par quelques aventuriers, partit du port de Phocée, l’une des douze villes ioniennes de l’Asie-Mineure, et vint reconnaître les rivages de la Méditerranée occidentale. Les historiens se sont plu à revêtir cette première expédition d’une sorte d’auréole mystérieuse et poétique, et tout le monde connaît la légende des amours du Grec Eumène et de la jeune Gauloise Gyptis à laquelle on rattache un peu légèrement la fondation de Marseille.

A vrai dire, Massalia existait bien antérieurement à ce petit roman, devenu presque classique : elle était déjà même un comptoir assez fréquenté depuis longtemps par les navigateurs tyriens, qui eux-mêmes n’avaient pas rencontré un désert sur cette côte