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pas dans ces occasions d’envoyer à sa fiancée une jeune suivante indienne. Au temps de la guerre du Paraguay, c’étaient les petits Paraguayens qui faisaient les frais de ces attentions galantes. On reconnaît là les traditions de la conquête. Depuis que la servitude est abolie, il a bien fallu trouver ce biais pour continuer à encombrer la maison de serviteurs qui ne servent à rien. Leur condition n’est pas pénible. Apporter le mate et se croiser les bras, c’est toute leur occupation. Subsidiairement les garçons apprennent à monter à cheval, les filles à coudre un peu et à s’attifer coquettement. Personne ne s’occupe de leur enseigner autre chose. Il n’y a pas dans ces talens-là les éléments d’une profession. Quelques-uns s’incrustent dans la famille où ils ont grandi, y vieillissent et y meurent. C’est le petit nombre. Les autres, traités sans rudesse, mais sans affection, comme des animaux domestiques, ne demandent qu’une occasion de prendre leur volée. Pour les femmes, cette occasion se présente d’elle-même dès que leurs charmes se développent. Il y a bien une loi sur le détournement des mineures, et le propriétaire de la fugitive ne manque pas d’en réclamer l’application, moins, au nom des bonnes mœurs qu’au nom des dépenses que cette éducation lui a coûté. La police et lui en sont d’ordinaire pour leurs peines. Dans un pays neuf, il y a tant de retraites sûres pour abriter un bonheur de contrebande ! Elles finissent presque toujours par s’établir d’une manière définitive quand trois ou quatre essais malheureux ont perfectionné leur science du monde, surtout lorsqu’elles ont le bon sens de renoncer sans retour aux mariages de luxe et d’oisiveté vers lesquels les souvenirs de leur enfance les attirent. Pour les hommes, l’émancipation est tout aussi simple et moins périlleuse. Dès qu’ils gagnent le campo, ils sont chez eux et peuvent donner un libre cours à leurs instincts errans. A tant faire que de se charger de l’éducation des gens sous prétexte qu’ils sont des sauvages, ce serait peut-être se montrer vraiment supérieur à eux que de les préparer avec une sollicitude plus éclairée aux luttes et aux devoirs de la vie.

C’étaient justement les réflexions auxquelles je me livrais en allant choisir un couple de petits Indiens que le ministre de la guerre m’avait octroyés. Je faisais comme les autres ; mais Dieu, qui voit les cœurs, a dû me rendre justice. Je voulais savoir, par une expérience personnelle, et poursuivie avec soin, de quoi est capable, prise à temps et bien dirigée, cette race déchue impropre à toute besogne utile. Il n’y a que deux mois que l’expérience dure. C’est un laps bien court, et nous en reparlerons dans dix ans. On peut dire pourtant déjà qu’elle s’annonce bien. La petite fille, qui a huit ans, n’est pas du tout sotte ; elle entend à merveille et baragouine un peu déjà l’espagnol et le français. Je suis loin d’avoir