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dit le commandant Garcia. Où est Catriel ? ajouta-t-il aussitôt. — A Pichi-Treycò, à cinq lieues d’ici. — Depuis quand ? — Depuis hier. Il a reçu avant-hier des lettres de l’Azul, a envoyé aussitôt les boleadores sur les routes de Puan et de Nueva-Roma, puis a déménagé hier avec son frère et sa famille, nous laissant l’ordre de déménager aujourd’hui. — Où est Pichi-Treycò ? — Dans cette direction. — Qu’on envoie cent chevaux frais au lieutenant Daza et à Pichi-Huinca, qui vont de ce côté, et qu’ils ne s’arrêtent que lorsque leurs animaux ne pourront plus mettre une patte devant l’autre ou qu’ils auront pris Catriel. — Le commandant n’avait pas fini de parler que les cent chevaux étaient en route. Cinq lieues d’avance ! et nos montures venaient de marcher deux jours et deux nuits. Il y avait peu de chances de les voir atteindre le cacique. Il s’échappa en effet. On le poursuivit onze lieues, et on parvint à tuer deux ou trois hommes de son escorte. Il s’arrêta le soir à trente-cinq lieues de là. — Qui a apporté ces lettres ? reprit le commandant. — Un marchand de bœufs de l’Azul. — Où est-il ? — Prisonnier. — Ah ! ah ! et tes frères ? — Ils étaient avec moi. L’un a tâché de fuir à pied, il doit être mort. L’autre a réussi à monter à cheval. — Et il a été rejoindre Catriel ? — S’il a pu.

Le marchand de bœufs avait été pris en effet. Il était livide, mais impénétrable. On n’en put rien tirer. On trouva sur lui divers passeports qui prouvaient qu’il n’en était pas à sa première visite aux toldos. Ces passeports sollicités sous divers prétextes, les négociations pour le rachat d’une captive par exemple, lui avaient été délivrés par les autorités militaires de l’Azul. Il est probable qu’avec une impartialité transcendante il servait d’espion aux deux partis. C’eût été œuvre pie de le fusiller sans autre forme de procès. On lui accorda plus d’importance qu’il n’en avait. Cela le sauva. On voulut le mener à Puan pour que le ministre de la guerre, qui y attendait notre retour, l’interrogeât lui-même. Beaucoup d’officiers s’obstinaient à voir de la politique dans l’affaire, et soupçonnaient les mitristes, rapprochés cependant depuis peu du docteur Alsina par une réconciliation éclatante, d’avoir essayé sous main de lui jouer un mauvais tour en favorisant l’évasion de Catriel. C’était avoir non-seulement la passion, mais l’obsession de la politique. On avait bien été en ce genre jusqu’à supposer que les trois frères étaient dépêchés aux toldos par les chefs de l’opposition avec une mission secrète. Ces rusés fripons n’étaient pas fâchés de laisser s’accréditer cette croyance. Ils avaient fait jadis grand bruit de leurs opinions mitristes, à une époque où, pour le succès de certains tripotages interlopes avec les Indiens, on ne se trouvait pas plus mal d’être en politique un orthodoxe fervent. Leur foi