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l’assemblée transformée en cour de justice. Voici une affaire qui traîne depuis deux ans bientôt, qui a passé par toutes les phases, et pour arriver à une mise en accusation on aurait attendu que le tribunal fût modifié, qu’il fût renouvelé sous l’empire de certaines circonstances politiques, qu’il eût une majorité composée d’adversaires avoués. C’est se faire une étrange idée du sénat que de lui avoir ménagé de telles représailles, de lui proposer le rôle d’instrument d’une vengeance tardive, et parmi les nouveaux élus plus un n’hésiterait peut-être pas à se récuser. Et puis, que parle-t-on de procès, de mise en accusation, de jugement ! Le procès, voilà près de deux ans qu’il est plaidé sans cesse, sous toutes les formes et devant le seul tribunal compétent, celui du parlement, de la presse, de l’opinion. Les anciens ministres ont été jugés comme ils pouvaient être jugés, ils ont été condamnés comme ils pouvaient être condamnés. L’esprit de parti n’a plus rien à faire d’une cause qui appartient désormais à l’histoire. Au fond, ceux qui en parlent toujours et qui en parlent le plus vivement tiennent-ils autant qu’ils le disent à ces vengeances rétrospectives ? Les plus naïfs, ceux qui ont été exposés à des vexations dans leurs arrondissemens, qui ont eu à faire les frais d’une élection, car les élections coûtent toujours cher aux candidats, ceux-là ont de la peine à oublier leurs griefs et ne seraient pas fâchés de mettre tout le monde en accusation. Ceux qui ont le tempérament révolutionnaire seraient satisfaits d’avoir leur procès des ministres. Les politiques moins naïfs ou moins emportés tiennent avant tout à leurs documens, à leurs dépêches, à leurs rapports accusateurs : ils tiennent à opposer aux enquêtes sur le k septembre leur propre enquête sur le 16 mai. Eh bien, qu’on la publie, cette enquête, qu’on l’envoie rejoindre toutes les autres enquêtes, et qu’on n’en parle plus ! qu’on évite surtout de perpétuer ou de raviver des luttes qui ne peuvent que troubler le pays, avoir le plus dangereux retentissement au dehors et faire de la république un régime d’agitations indéfinies !

Sur toutes ces questions, sur la mise en accusation des anciens ministres comme sur l’amnistie, le cabinet, à commencer par son président, a son opinion faite et arrêtée. Il est décidé d’avance à combattre des résolutions qu’il sait dangereuses pour nos relations extérieures comme pour la paix intérieure du pays. Se désintéresser, il ne le peut pas, sous peine de devenir le complice par inertie d’incohérences qui ne feraient que s’aggraver. Intervenir avec décision, avec fermeté, c’est son rôle : ce qu’il a de mieux à faire, c’est de l’accepter sans subterfuge, sans se prêter à de petites et vaines transactions qui perdraient tout sans le sauver lui-même, qui le conduiraient au contraire à une triste chute. S’il doit rester au pouvoir, il faut qu’il garde son autorité morale intacte ; s’il est destiné à être vaincu, il doit se retirer sans s’être laissé diminuer ; c’est son intérêt et l’intérêt de tout le monde. Dans