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comme elles sont et non comme les radicaux se plaisent à les représenter en obscurcissant et en brouillant tout. Où y a-t-il l’apparence d’un mouvement d’opinion pour l’amnistie ? Où distingue-t-on la trace d’une émotion favorable à des insurgés qui ont profité de la présence de l’ennemi, des défaites de la France pour s’emparer de Paris, pour le ravager et l’incendier ? Des élections ont eu lieu récemment, le sénat a été renouvelé, des républicains ont été nommés en majorité, et dans cette agitation qui est restée d’ailleurs fort paisible, il n’y a eu ni désir exprimé par les électeurs ni promesses de la part des nouveaux élus. Quand on rappelle qu’il y a des blessures à guérir, de quelles blessures est-il question ? Quand on parle d’apaisement, qui s’agit-il d’apaiser ? Lorsqu’on parle de victimes, dans quel camp les cherche-t-on ? Que les répressions qui ont suivi les désastreux événemens de 1871 ne puissent pas se perpétuer indéfiniment, qu’il y ait lieu, après des années, à clore cette cruelle liquidation, à en finir de tous ces procès, à rendre la liberté aux égarés, on n’a cessé de s’en occuper ; depuis longtemps les grâces, les libérations, les actes de clémence, se succèdent sans interruption. Le dernier garde des sceaux avait pris l’initiative de mesures plus étendues, plus générales, et M. Le Royer, reprenant, étendant encore le projet de M. Dufaure, vient de présenter à son tour une loi qui porte le nom de loi d’amnistie partielle. Il propose d’assurer les bénéfices légaux de l’amnistie à ceux qui ont été graciés, d’accorder temporairement au pouvoir exécutif le droit fort exceptionnel de gracier et d’amnistier les contumaces. C’est en un mot un ensemble de combinaisons ou d’atténuations, dont le caractère juridique n’est pas toujours clair, dont la correction n’est pas toujours incontestable, mais dont la pensée politique est d’en finir avec cette importune et pénible question. Le ministère s’exécute, peut-être pour n’être pas lui-même trop vite exécuté. Il va aussi loin qu’il puisse aller ; mais il y a visiblement une limite qu’il est résolu à ne pas dépasser. En allégeant les peines, il n’entend pas effacer le crime, et le commentaire de sa loi est d’avance écrit dans cet exposé des motifs où une fois de plus il imprime le sceau indélébile de la trahison à l’insurrection de 1871 : « Insurrection, dit-il, que son nom, ses moyens d’action, les actes accomplis sous les yeux de l’étranger, son but, tout enfin dénonce comme un des crimes les plus grands qui aient été tentés contre la souveraineté nationale. » Et M. le garde des sceaux ajoute : « Cette révolte que l’histoire n’amnistiera jamais, la génération qui en a été le témoin ne saurait sans faiblesse et sans danger lui accorder la faveur du pardon. »

Rien de plus net et de plus décisif à coup sûr. C’est ce qui caractérise, domine et limite toutes ces mesures d’amnistie partielle. Le ministère fait certes la part de la clémence aussi large que possible, il ne peut pas évidemment livrer les droits de la conscience nationale, les garanties de sécurité sociale, sous prétexte de réconcilier des hommes qui