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fontaine dont le bruit, convenablement interprété, devenait une révélation de la pensée de Jupiter. Enfin la divination par les sorts était aussi en usage à Dodone. Les moyens de consultation étaient donc multipliés dans ce lieu privilégié, tout plein de la divinité primitive, premier centre où elle avait réuni les ancêtres des Hellènes, les Grecs, comme les appelle Aristote, et où elle les avait initiés aux premiers élémens de la vie civilisée.

Pendant des siècles, les plus beaux de la Grèce, l’oracle de Dodone fut consulté de tous les points du monde hellénique par les états et par les particuliers. Sans doute celui de Delphes, situé sur la limite de la vraie Grèce, qui au nord ne dépassait guère le Parnasse, fut encore plus fréquenté, plus riche en offrandes et en monumens des arts, et semble enfin devoir être plutôt considéré comme le centre religieux et national des peuples grecs. Cependant on ne voit pas que dans les temps où leur vie fut le plus active et le plus indépendante, le sanctuaire de Dodone, malgré son éloignement, ait été l’objet d’une vénération moins profonde. Apollon lui-même, selon l’antique croyance, n’était que le prophète de son père. À peine né, dans l’hymne homérique, il prend possession de ses attributs et s’écrie : « Je dirai par mes oracles les décrets infaillibles de Zeus. » Il était donc naturel que Dodone, où le dieu suprême faisait sentir son inspiration directe, gardât sur Delphes, comme sur les autres foyers prophétiques, une sorte de prééminence ; et c’est ce qui semble confirmé par quelques faits. « Consultez à Dodone et à Delphes, pour savoir s’il est de votre intérêt pour le présent et pour l’avenir de faire ce que je vouas conseille. » Telle est la conclusion d’un plan de réformes financières et politiques proposé par Xénophon aux Athéniens. Les deux oracles sont ainsi souvent associés, comme régulateurs de la vie politique ou religieuse. Le caractère de législateurs religieux leur est conservé par Platon lui-même, bien autrement hardi que Xénophon dans les innovations qu’il conçoit. Démosthène, voulant autoriser de la sanction la plus haute la satisfaction qu’il réclame pour l’insulte qu’il a reçue dans les fonctions de chorège aux fêtes de Bacchus, rappelle que ces fêtes sont consacrées par les oracles de Delphes et de Dodone. Voilà plus d’exemples qu’il n’en faut pour prouver l’autorité qu’avait conservée le sanctuaire prophétique de l’Épire aux âges les plus florissans de l’histoire grecque.

Quand la perte de la liberté ébranla tout en Grèce, Dodone eut particulièrement à souffrir de la dissolution des élémens constitutifs de la société primitive. Détruit une première fois par les Étoliens, pillé par les Thraces, alliés de Mithridate, le temple ne fut relevé que longtemps après, probablement vers le règne d’Adrien, si favorable aux restaurations païennes. Et ce qui était tout aussi grave que les ruines matérielles et moins facile à réparer, c’est que la foi l’abandonnait. Le Jupiter de Lucien se plaint à Ménippe que son foyer de Dodone soit plus