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d’abord et uniquement sa chaleur latente ; elle peut au contraire la conserver entière, demeurer liquide et prendre des températures décroissantes. Perdant une calorie et se refroidissant de 1 degré pendant chaque minute, elle arrivera peu à peu à — 1°, à — 2°, à ; — 3°, etc., et finalement à — 80 degrés. Il y a donc deux modes évidemment possibles : ou bien le maintien de la température à zéro avec congélation lente, ou bien la conservation de l’état liquide avec un refroidissement progressif. Eh bien, ces deux modes, si différens, si également prévus, se réalisent tous deux ; les circonstances extérieures seules déterminent l’un ou l’autre.

C’est le premier mode qu’on observe habituellement dans l’air. Il est trop connu pour que j’y insiste. Les couches supérieures de l’eau, ce sont les plus froides, atteignent la température de zéro et s’y maintiennent. On voit bientôt apparaître en un point, le plus souvent au bord du vase, une petite aiguille solide ; elle attire à elle les molécules voisines qui se soudent à son noyau, non point confusément, mais avec ordre. C’est un cristal qui se forme, avec son ordonnance géométrique, ses rangées d’assises qui se superposent parallèlement comme un édifice qui monte et se complète avec le temps. On a cru pendant longtemps que ce mode était le seul. On admettait que l’eau doit toujours se solidifier à zéro, que le point de congélation offre la fixité immuable qu’on a reconnue au point de liquéfaction, et qu’en général les corps commencent invariablement à se solidifier à la température où ils commencent à fondre : c’était prendre un cas spécial pour une loi nécessaire. Le raisonnement vient de nous montrer que l’eau peut suivre une autre route pour se refroidir et arriver à l’état solide, route aussi naturelle et aussi praticable, quoique plus rarement suivie. Or c’est précisément ce deuxième mode de congélation qui fut réalisé dans le verglas du 23 janvier et qui en a déterminé la formation ; c’est pour cela qu’il se recommande à notre attention et que je vais y insister tout spécialement.

Fahrenheit a découvert par hasard que l’eau peut être abaissée à une température inférieure à zéro sans se prendre en glace. Peu de temps après, Blagden reprit et confirma l’expérience de Fahrenheit. Voici comment il opérait : dans une fiole de verre à long col bien nettoyée, il mettait de l’eau distillée, soigneusement purgée d’air, et il plongeait le vase dans un mélange réfrigérant formé de sel et de neige. Il évitait toute agitation extérieure, et, par un thermomètre placé dans la fiole, il suivait l’abaissement de la température de l’eau. Il la voyait d’abord arriver à zéro ; à ce moment elle aurait dû commencer à se solidifier ; mais elle ne le faisait point ; elle continuait à baisser et arrivait jusqu’à 6 degrés